19, Les démons débarquent.
Le vent portait une odeur âcre, un mélange de cendre et de chair brûlée. Sur le continent Beldan, les collines ondulaient sous un ciel gris plombé, lourd d’une menace imminente. Des villages entiers, naguère paisibles, n’étaient plus que ruines fumantes, dévorés par la horde infernale qui s’élevait à l’orée de la forêt d’Ertagnis.
Yeolset scrutait la ligne des arbres sombres, là où les premiers portails rouges s’étaient ouverts. Ces gouffres cramoisis crachaient sans cesse des silhouettes difformes, des démons à quinze cornes, plus nombreux que les étoiles d’une nuit sans lune.
Un frisson glacé lui remonta la colonne vertébrale, et malgré le froid, une sueur glacée perla sur son front. Les souvenirs le harcelaient, mais il se les refoulait, les enfermant au plus profond. Personne ne devait savoir.
— « Là ! » hurla une voix, tirant Yeolset de sa torpeur.
Des cris perçants éclatèrent, mêlés à des hurlements bestiaux. Les démons jaillirent en vagues, griffes déchiquetant l’air, gueules béantes vomissant des gerbes de feu et de sang.
Yeolset serra les poings, sentant son Qi palpiter sous sa peau. Il s’élança dans la mêlée.
Le sol se déroba sous une pluie de sang et de viscères. Des troncs calcinés gisaient comme des os brisés, tandis que les cris des villageois déchiraient l’air. Des femmes hurlantes fuyaient, traquées par des Kraal cannibales aux crocs acérés, leur peau verdoyante luisant sous la lune blafarde. Ces monstres à la peau blanche étaient aussi cruels que les démons, les ennemis des derniers humains.
Yeolset bloqua un coup de griffe, encaissa un coup de corne dans les côtes, avant de riposter avec une explosion de Qi qui fit voler en éclats une mâchoire.
Le combat était un chaos organique, un tableau de la désolation. Chaque coup porté était une lutte pour survivre, chaque respiration un défi contre la mort.
— « Plus nombreux que prévu... » murmura-t-il, le souffle court.
À chaque seconde, de nouveaux portails déchiraient l’air, vomissant une marée de démons aux cornes torturées. Yeolset jeta un regard en arrière : des maisons s’effondraient dans des flammes sauvages, des cadavres mutilés jonchaient le sol, les gémissements des blessés s’élevaient en un chœur funèbre.
Des éclats rouges jaillirent soudain : des démons à dix cornes firent leur apparition, maniant la magie avec une violence terrible. Ils crachaient des torrents de feu, lançaient des éclairs mortels, et les rafales glacées figeaient certains combattants sur place, les condamnant à une mort certaine.
Yeolset bondit, esquiva une gerbe d’éclairs, et repoussa un assaillant d’un coup de pied chargé de Qi. La douleur de ses blessures s’estompait dans une rage froide et mécanique.
Dans le tumulte, les Kraal rôdaient. Ces cannibales à la peau nacrée s’infiltraient entre les combattants, déchiquetant les chairs avec une sauvagerie primitive, avalant les restes des démons comme s’ils se nourrissaient de leur malveillance.
Yeolset vit un villageois, tremblant, se faire traîner par un Kraal affamé. Il lança une vague d’énergie qui pulvérisa l’assaillant, sauvant l’homme de justesse. Mais combien d’autres ne pourraient être sauvés ?
Le guerrier sentait la fatigue lui serrer les membres, le poids de la peur lui nouant la gorge. Il avait combattu tant de fois sur Beldan, et chaque fois, c’était un massacre sans fin.
Il repensa à son passé, à ces jours sombres où tout avait basculé, à la perte de ses compagnons, à ces batailles où il avait dû choisir entre fuir et mourir en héros.
Mais il garda ces pensées pour lui. Le silence de ses tourments devait rester un secret, une blessure invisible.
Autour de lui, la guerre continuait. Le ciel s’assombrit davantage, et l’odeur de la mort saturait l’air.
Yeolset repoussa un démon, sentit un goût métallique dans sa bouche, un éclat lui frappa l’épaule. Il se redressa, la détermination gravée sur le visage.
— « Ils ne passeront pas ! » gronda-t-il.
La nuit s’épaississait, et avec elle, la vague de démons qui déferlait, insatiable.
Les hurlements des démons se mêlaient aux cris désespérés des survivants. Les bois d’Ertagnis semblaient vivants, une bête affamée gémissant sous la lune blafarde. L’odeur du sang chaud saturait l’air, collant à la peau comme une gangrène invisible.
Yeolset sentit son Qi pulser, un battement sourd au creux de ses paumes. Il concentrait son énergie dans ses poings, des sphères lumineuses d’énergie concentrée, prêtes à exploser à la moindre attaque.
À ses côtés, Seta déchaînait une danse mortelle, ses doubles lames sifflant dans l’air avant de déchirer la chair crue. Son visage, masqué, était une énigme, mais ses mouvements trahissaient une détermination féroce.
Crok rugit un appel bestial, son corps mi-homme mi-bête bondissant dans la mêlée. Ses griffes lacéraient les peaux déformées, arrachèrent des têtes, broyèrent les os. Le sang giclait en éclats rouge sang sur le sol boueux.
Mathieu, en retrait, lançait des éclairs magiques, des rafales de vent coupant le souffle aux démons. Son regard clair était concentré, malgré la peur palpable qui suintait de ses traits.
Yeolset observa un portail nouveau s’ouvrir, crachant une dizaine de démons lourds d’écailles, à la mâchoire énorme et aux cornes tordues. Ces monstres dégageaient une odeur putride, mélange de soufre et de mort.
L’affrontement fut d’une brutalité bestiale. Yeolset encaissa un coup de corne dans le flanc, le souffle coupé, mais il ne fléchit pas. Une explosion d’énergie jaillit de ses mains, réduisant en cendres deux de ses assaillants.
Autour de lui, la terre vibrait sous les pas de la guerre. Des maisons s’effondraient, des arbres se couchaient dans des cris d’agonie. La forêt elle-même semblait hurler son désespoir.
Un Kraal surgit, ses crocs déchirant la jugulaire d’un villageois. Yeolset bondit, déchirant la gorge de la créature d’un coup sec. Mais d’autres s’approchaient, plus nombreux, affamés.
La peur lui serrait la poitrine, mais il la repoussa, se rappelant que céder à la panique signifiait la mort certaine.
Dans un éclair, Mél ordonna une retraite stratégique, ordonnant à ses compagnons de reculer vers Miniarkil, où les défenses seraient plus fortes.
Mais la route vers la cité était un cauchemar de décombres et de démons.
Yeolset lança un regard en arrière, les yeux emplis d’une angoisse silencieuse. Son esprit se perdit un instant dans les souvenirs noirs d’autres batailles sur Beldan, où la même horde semblait inarrêtable, où chaque victoire était un prélude à une défaite plus sanglante.
Il ne pouvait pas en parler, pas encore. La vérité qui rongeait son âme devait rester cachée, car révéler son passé signifierait tout perdre.
Alors, il se concentra sur le présent : survivre, combattre, protéger.
Les démons approchaient, leurs cornes cliquetant comme des lames contre l’acier.
Yeolset serra les dents.
— « Pas cette fois. »
≈
Le silence était une trêve fragile, un souffle court dans l’enfer perpétuel. Autour de Yeolset, les cadavres s’entassaient en une mer macabre, chairs lacérées, os brisés, viscères à même la terre boueuse. L’odeur âcre de la mort saturait l’air, mêlant sang chaud, sueur et métal brûlé.
Yeolset s’accroupit, haletant, les poings encore vibrants de Qi mal maîtrisé. Son regard balayait le champ de bataille, un théâtre de désolation où les cris de douleur s’étaient momentanément tus. Mais la paix n’était qu’illusion. Il le savait. Le murmure du vent portait déjà l’écho des rugissements déments de la horde infernale, prêts à déferler à nouveau.
Il ferma les yeux un instant, cherchant à étouffer ce poids oppressant, mais ses souvenirs surgirent avec violence.
Le continent Beldan, bien des années plus tôt, dans une autre chronologie.
Un autre champ de bataille. Une autre fuite. Une autre mort, un autre retour.
Des silhouettes familières s’étaient dressées face à l’horreur : des villages consumés par les flammes, des cris étouffés par le vacarme des armes, et lui, jeune recrue tremblante, déjà marqué par l’ombre des démons.
Il se souvenait du goût métallique du sang sur ses lèvres, de la terre humide mêlée à la sueur de la peur, et du silence glaçant qui suivait chaque carnage.
Il avait vu des amis tomber, déchiquetés sous des crocs avides, leurs visages figés dans une dernière expression d’horreur et de résignation.
Il avait senti ce feu intérieur s’éteindre peu à peu, emporté par l’absurde répétition des combats, la malédiction de ces guerres sans fin.
Mais il n’avait jamais parlé. Pas un mot sur ce passé. Pas un souffle.
Le secret demeurait enfoui, étouffé sous une carapace d’indifférence. Car révéler la vérité, c’était ouvrir la porte à la faiblesse. Et Yeolset n’avait plus droit à la faiblesse.
Il rouvrit les yeux. Autour, les ombres s’allongeaient, déformées par les flammes qui léchaient les ruines des maisons éventrées.
Les démons étaient toujours là , tapis dans l’attente, crocs dégainés, yeux rouges luisants d’une faim insatiable. Mais ce n’étaient pas seulement eux qui terrorisaient Yeolset.
Les Kraal, ces monstres à la peau blafarde et aux crocs recourbés, rodant dans la pénombre, n’étaient pas de simples prédateurs. Cannibales, assoiffés de chair humaine, ils ne faisaient pas de distinction entre les démons et leurs proies.
Cette alliance perverse des ténèbres avait scellé le destin du continent. La ligne entre ami et ennemi s’effaçait dans la cruauté du combat.
Yeolset sentait son cœur se serrer.
Il connaissait trop bien cette folie, ce gouffre sans fond qui avalait les âmes.
Il pensa à ses compagnons tombés, à ceux qui s’accrochaient encore, à Mél, à Mac, à Seta, à Crok.
Il pensa à la peur qui sourdait en lui, cette peur qu’il taisait, même devant eux.
La peur de ne jamais sortir vivant de cette spirale.
Le poids du silence lui écrasa la poitrine.
Et pourtant, il devait continuer. Parce que c’était la seule chose qu’il savait faire : se battre, encore et toujours.
Le bruissement d’un pas léger près de lui le fit sursauter. Mél était là , son masque dissimulant à peine la détermination farouche dans ses yeux.
Elle posa une main ferme sur son épaule.
— Tu tiens le coup, Yeolset ?
Il hocha la tête, incapable de répondre autrement que par un souffle rauque.
— Le prochain assaut sera pire, murmura-t-elle.
Il la regarda. Oui. Il le savait.
Le combat pour Beldan n’était pas terminé. Il venait juste de commencer.

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