20. Contre-attaque
L’assemblée extraordinaire se tint dans le grand hall de la Guilde, au cœur de Miniarkil. La cité libre, perchée sur un promontoire rocheux battu par les vents, était l’un des derniers bastions indépendants du continent de Beldan. Elle ne répondait qu’à elle-même, et sa neutralité historique en faisait le seul lieu capable d’accueillir les représentants de toutes les puissances majeures de Beldan sans que l’étiquette n’impose de soumission.
Autour de la grande table circulaire trônaient les émissaires des royaumes et empires encore debout. Leurs visages étaient tirés, leurs manteaux froissés par des jours de chevauchée ou de vol magique à travers un continent ravagé. Les silhouettes drapées dans les insignes du royaume de Coverse étaient les plus silencieuses, rongées par la perte de plusieurs villes, dont la prestigieuse capitale secondaire de Dalwyn. Non loin, les ambassadeurs de l’empire Grivas tentaient de masquer leur honte : leur capitale côtière, Grovas, située à proximité de la grande forêt d’Etargnis, avait été balayée par l’assaut démoniaque soudain. Avec elle était tombée une ligne de défense séculaire.
L’empire Républicain Frontiste (ERF) – dont le territoire s’étendait aux confins des grandes plaines – offrait, lui, une posture plus offensive. Son représentant, un homme massif au visage orné de cicatrices de guerre, plaidait pour la création immédiate d’une ligne de front fortifiée, volontiers sur ses propres terres, mais à condition d’un soutien logistique massif.
La cité marine d’Ignus, toujours épargnée, proposait des renforts navals et un exode stratégique par mer, tandis que Budasta, habituée aux conflits internes, restait sur une prudente position d’observatrice, soucieuse de préserver ses ressources. Le royaume d’Estoyis, quant à lui, multipliait les propositions d’alliance magico-militaires, évoquant des rituels de scellement ou des pactes antiques oubliés.
Au centre de tout cela, la Guilde siégeait en hôte et arbitre. Elle était représentée par un vieil homme aux cheveux blancs, vêtu d’un long manteau violet frappé du sceau de l’île du Portail. Il gardait un calme olympien, posant des questions précises, notant les engagements et les renoncements, traçant les contours d’une coalition fragile.
Ce fut à ce moment-là que Mac Vel, souverain de l’archipel céleste, fit son apparition. Sa simple présence fit taire la salle. Seta et Mél l’accompagnaient, mais restèrent en retrait, tandis que le colosse avançait jusqu’au centre, les bras croisés, l’air las.
— « Vous voulez une ligne de front ? » lança-t-il sans saluer. « Très bien. J’en construirai une. Mais si je participe, ce ne sera pas pour entendre les nobles compter leurs pertes en pièces d’or ou calculer le prix du sang versé. »
Des murmures s’élevèrent, choqués par le ton direct. Mais nul ne protesta ouvertement.
— « Je vous propose un deal. Je fournis trois plates-formes célestes, je place mes troupes à disposition sur le front ERF. Vous, en échange, vous fermez vos gueules et vous suivez mes ordres. »
Un silence pesant s’abattit. Puis le représentant de Grivas, le visage tordu de colère :
— « Vous croyez pouvoir parler ainsi à une assemblée de nations souveraines ? »
— « Non, » répondit Mac en haussant les épaules. « Je vous propose de survivre. Vous êtes libres de mourir comme vous l’entendez. »
À contrecœur, chacun signa l’accord d’union tactique. Miniarkil, fière cité libre, devint le quartier général des opérations. Une coalition inédite vit le jour, une marée de soldats de tous horizons, réunis non par des traités ou des alliances, mais par la terreur d’un ennemi commun.
En ERF, les travaux débutèrent dès l’aube du lendemain. La terre fut retournée par magie, les cristaux de défense enchâssés dans les fondations des camps. Des fosses furent creusées, des pieux installés, des barrières de feu et d’éclairs tressées par des mages. Les pelotons affluaient sans relâche : renvards, hommes-bêtes, humains, quelques Estrayants, tous réunis sous une bannière tremblante, tissée dans l’urgence.
Des jours passèrent. Des semaines. Et toujours aucune attaque.
Certains commencèrent à espérer. D’autres, comme Mac, savaient que le calme n’était qu’un murmure avant la tempête. Les guetteurs, postés sur les hauteurs, finirent par apercevoir les premiers éclats rouges dans le ciel.
Les portails s’ouvrirent.
Et la guerre reprit.
Le champ de bataille ne ressemblait plus à rien d’humain. De jour comme de nuit, les vagues de démons déferlaient. Les soldats dormaient debout, mangeaient dans la boue, combattaient au son des tambours de feu. Les canons magiques ne cessaient de tonner. Les cratères devenaient des tombes collectives.
Le champ de bataille ne ressemblait plus à rien d’humain. De jour comme de nuit, les vagues de démons déferlaient. Les soldats dormaient debout, mangeaient dans la boue, combattaient au son des tambours de feu. Les canons magiques ne cessaient de tonner. Les cratères devenaient des tombes collectives.
Certains pelotons furent entièrement anéantis avant même d’apercevoir un ennemi, désintégrés par la magie noire des invocateurs démoniaques. Des villages entiers, pris à revers, furent vidés de leur population dans un silence effrayant, comme si la vie elle-même y avait été effacée. On retrouva des rivières entières noircies par le sang, des carcasses d’animaux fusionnées aux restes humains, des autels de chair érigés par les démons au cœur même de la ligne de front.
Des capitaines devenaient fous, hurlant à des ennemis invisibles. Certains soldats, mutés sur les lignes arrière, se suicidaient en hurlant le nom de leurs proches. D’autres, plus chanceux, perdaient simplement la parole ou la mémoire.
Les lignes reculèrent. Lentement. Inévitablement.
C’est au cœur de cette débâcle que se trouvaient encore nos héros. Mél, Yeolset, Seta, Crok et Mathieu se battaient côte à côte, dans la boue et le feu, épuisés mais tenaces. Ils avaient vu tomber des dizaines de camarades. La magie de Mél se tarissait, les bras de Crok tremblaient sous le poids de l’effort, et même le flegme de Mathieu semblait s’éroder.
Lorsque les défenses extérieures s’effondrèrent, et que les commandants crièrent au repli, ce ne fut pas un choix mais une évidence : ils devaient fuir. Fuir ou mourir.
Ils s’élancèrent à travers les plaines souillées, dans la direction de Miniarkil. Mais à mi-parcours, alors qu’ils pensaient échapper au pire, un cri perça les brumes ensanglantées.
Une horde de démons surgit des collines dévastées, cernant le petit groupe. Il n’y avait plus de front, plus de soutien : juste eux, et la mort en marche.
— « Embuscade ! » hurla Crok, déjà en posture de défense.
Yeolset brisa les deux jambes d’un démon en un seul mouvement, mais l’ennemi se relevait déjà , comme mû par une rage surnaturelle.
— « Il faut passer ! Foncez vers les ruines, là -bas ! » cria Mél, pointant une série de bâtisses effondrées.
Seta invoqua un mur de flamme, stoppant net une vague de projectiles acides. Derrière elle, Mathieu lançait des sorts de stase, gelant les membres de leurs adversaires, offrant des ouvertures à Yeolset et Crok pour tailler dans les chairs.
Mais les démons étaient trop nombreux. Ils sortaient des fosses, des arbres, du sol lui-même, comme si la terre les vomissait.
— « On est encerclés ! » grogna Crok, blessé à la jambe.
— « Non, pas encore ! » siffla Mél en activant une illusion de masse. Des doubles illusoires jaillirent du groupe, semant la confusion.
Profitant de l’ouverture, le groupe se rua vers la brèche. Yeolset portait Crok, boitant, tandis que Seta couvrait l’arrière.
Ils atteignirent enfin les sentiers rocailleux menant à Miniarkil. Derrière eux, les hurlements s’intensifiaient. Les démons les poursuivaient, assoiffés de chair et de vengeance.
Mais cette fois, les murailles de Miniarkil étaient visibles à l’horizon, hautes et brillantes sous la lumière du crépuscule.
Ils coururent jusqu’à en vomir. Et quand enfin les portes se refermèrent derrière eux, et que les sorts de verrouillage s’activèrent, un silence brutal s’imposa.
Ils avaient survécu.
Mais Ă quel prix ?
≈
Les vents lourds charriant l’odeur de cendres et de sang brûlé balayaient le paysage désolé de l’Empire Grivas. La plaine s’étendait à perte de vue, parsemée de corps mutilés et de débris calcinés, vestiges d’un affrontement qui avait déchiré le sol et l’âme des hommes. Le silence était oppressant, seulement troublé par le crépitement lointain de flammes mourantes.
Au milieu de cette désolation, une silhouette se mouvait sans hâte, presque indifférente à l’horreur qui l’entourait. Un jeune homme, aux cheveux blonds couleur de blé sous la lumière blafarde du ciel gris, avançait seul, ses pas ne laissant aucune empreinte dans la terre souillée.
Son regard azur scrutait l’horizon sans vraiment le voir, perdu dans un dialogue muet avec une présence invisible. Parfois, il levait les yeux vers le ciel, cherchant des réponses que seul Istrul pouvait lui offrir.
Un grognement sourd interrompit la quiétude morbide. Deux démons, figures grotesques, émergeaient des ombres comme des cauchemars vivants, leur peau écailleuse et leurs yeux ardents trahissant la malveillance qui les animait. Sans un mot, sans un geste inutile, le jeune homme leva la main, paume ouverte vers eux.
Un souffle glacé s’échappa de ses doigts. Les démons furent saisis d’une peur primale, leurs cris déchirants se perdirent dans l’air avant qu’ils ne se désintègrent en une pluie d’étincelles noires, emportés par le vent comme une poussière oubliée.
Il baissa lentement la main et reprit sa marche, le visage impassible, semblant porter un fardeau que nul ne pouvait voir.
— « Dois-je détruire ou sauver ? » murmura-t-il à voix basse, s’adressant à la divinité muette.
Le vent sembla répondre par un silence lourd, et le garçon continua, un spectre parmi les ruines, prêt à devenir l’arme d’Istrul.

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