Chapitre 22 – Démon Souverain
Le silence tomba, lourd et irréel, sur les ruines fumantes de Miniarkil. La cité libre, autrefois joyau de neutralité et de commerce, n’était plus qu’un champ de gravats, transpercé de hurlements, de flammes et de portails rouges vrombissants. Les rues n’étaient que décombres, les places jonchées de cadavres. Les soldats, les civils, les mages — tous se battaient, ou fuyaient, ou tombaient.
Et sur ce chaos, du haut d’un pan de mur brisé, se tenait Yeolset.
Sa silhouette se découpait contre le ciel brûlant, auréolée d’un halo noirâtre qui vibrait comme une onde vivante. Ses cheveux sombres flottaient au vent, ses yeux étaient deux abîmes d’ambre sans lueur humaine.
Sa voix tonna, portée par la magie.
— « Je suis Yeolset. Je suis celui qui a traversé la mort et vu la vérité. Rendez-vous… ou mourez. »
Il n’y eut d’abord qu’un écho, puis des cris. Les soldats hurlèrent à la trahison. Certains pleuraient, d’autres chargeaient déjà en direction du mur. Mais les démons, tapis dans les ruelles, réagirent d’un seul corps, comme s’ils n’attendaient que ce signal. Les lignes alliées vacillèrent.
Mél leva les yeux. Elle le vit. Et son cœur s’arrêta.
— « Yeol… ? »
C’était lui. Son regard. Ses traits. Mais plus rien de l’homme qu’elle avait connu n’émanait de ce corps.
Elle courut. Crok la suivit, l’arme au poing, prêt à bondir.
— « C’est lui ! On le tue ! » hurla-t-il.
— « Attends ! C’est peut-être un leurre ! » cria Seta en le retenant de force.
Mathieu, lui, resta figé. Les yeux grands ouverts. Il ne comprenait pas. Il ne voulait pas comprendre.
Yeol, de là -haut, abaissa lentement les paupières. Il murmura presque :
— « La vérité n’a pas besoin de compassion. Elle est. »
Alors, il sauta.
Son corps fendit l’air comme un glaive, et en plein vol, il changea.
Une lumière noire l’enveloppa, avalant toute nuance de chair. Sa peau devint cendre foncée, ses muscles se creusèrent d’étranges marques mouvantes, comme si une langue ancienne y écrivait sa volonté. Une unique corne jaillit de son front dans une gerbe d’étincelles ébène. Ses doigts devinrent griffes, ses yeux deux braises surnaturelles.
Il toucha terre dans un craquement sourd, soulevant des éclats de pierre et des volutes de poussière noire.
Le choc fut tel qu’il fissura le sol sur plusieurs mètres. Autour de lui, les plus proches tombèrent à genoux, saisis par l’onde de magie démoniaque qui irradiait son corps.
Il releva la tĂŞte.
— « Je suis le héraut de Tokvielle. Je suis la voix du Dieu Unique. »
Et alors, le carnage commença.
D’un seul geste, il balaya une escouade entière, projetant soldats, murs et chevaux comme fétus de paille. Chaque mouvement de sa lame noire était une danse de mort. Ses ennemis fondaient, calcinés par la chaleur de son aura. Même les démons s’écartaient de lui avec respect.
Mais nos héros, eux, ne reculèrent pas.
Crok hurla en chargeant. Seta cria pour qu’il reste près d’elle. Mathieu invoqua une barrière. Mél dégaina, tremblante.
Ils étaient face à une entité qu’ils ne reconnaissaient plus.
Mais ils ne reculèrent pas.
Pas encore.
Yeolset ne se battait pas comme les autres démons.
Là où leurs charges étaient brutales, frontales, presque animales, lui avançait comme un stratège vêtu de chair. Il observait. Il anticipait. Il désarmait d’un geste net, rompt les lignes par le point faible, frappe au bon moment.
Chaque coup porté n’était jamais répété. Il ne gaspillait rien.
Il utilisa le souffle d’une explosion pour changer d’angle, fit trébucher un mage avant de l’étrangler avec sa propre cape enchantée. Une lame se brisa sur sa peau. Il réagit aussitôt, feintant une ouverture, puis abattant son coude sur le crâne de l’assaillant.
Mél voulut l’arrêter, parler — mais il ne la regardait même pas. Elle n’était pas l’objectif. Elle était un témoin. Une ombre dans un plan plus vaste.
Pendant ce temps, au sommet d’une des îles flottantes, Mac combattait un démon bicorne, l’une des plus hautes entités de l’armée de Tokvielle. Le duel était titanesque. Les éclairs fusaient, la gravité se brisait sous leurs coups, les défenses enchantées de l’île ployaient.
Myrr, son esprit fusionné à l'île, hurlait en silence à travers les vents. Elle tenait l’équilibre magique, maintenait le socle, bloquait les intrusions.
Mais au cœur du chaos, un souffle glacial passa.
Yeolset apparut derrière Mac. Il était seul à avoir compris le rythme, à avoir prévu l'ouverture.
Le colosse n’eut pas le temps de se retourner. Une main griffue s’enfonça dans son dos, perforant chair, os, énergie.
— « Tu aurais dû te méfier des pions, Roi de l’Archipel. » souffla Yeol.
Mac tomba à genoux, un souffle rauque quittant ses lèvres. L’île trembla. Myrr, privée de son ancre spirituelle, hurla.
Une lumière s’éteignit dans le ciel.
Les îles flottantes s’inclinèrent.
Puis chutèrent.
Lentement d’abord. Puis, de plus en plus vite. Comme des étoiles mortes.
Les cris résonnèrent en bas. Les soldats levèrent les yeux, hébétés. Des quartiers entiers tombèrent. Des tours, des maisons, des enfants. L’une d’elles portait la bannière de l’archipel : celle où vivaient les familles. Celle où Seta savait que se trouvait sa fille.
Le fracas fut démesuré. Le sol trembla comme sous un cataclysme. La lumière se fit rouge. Le ciel sembla recracher ses propres entrailles sur la ville.
Et Seta s’effondra.
— « Elle était là … » murmura-t-elle. « Mon bébé… était là … »
Elle tomba à genoux, le visage vide, comme aspiré.
Crok voulut la relever, mais ne put. Son bras tremblait trop.
Mél, figée, regardait Yeolset. Il n’avait pas fui.
Il contemplait la destruction qu’il avait causée. Sans haine. Sans joie.
Comme s’il venait simplement d’accomplir un devoir.
Ils n’étaient plus que quatre.
Face à une marée.
Des centaines de démons aux cornes torsadées, la bave aux crocs, la victoire dans les yeux.
Et pourtant… ils se levèrent.
Mél, Crok, Seta et Mathieu, seuls dans les ruines calcinées, regardèrent l’ombre d’une dernière fois.
Une onde magique traversa l’air — imperceptible aux non-initiés. Un souffle doux, presque triste. Le monde perdit une lumière.
Myr venait de disparaître. Dissoute. Comme une chandelle soufflée par la main d’un dieu cruel.
Mél baissa les yeux.
— C’est fini…
Crok poussa un cri, chargeant à mains nues, fracassant le crâne d’un démon contre une muraille. Sa lame mordit encore, mais ses bras ne suivaient plus. Une masse démoniaque le faucha par le flanc, puis une autre, puis une dizaine. Il disparut sous le poids.
Seta, haletante, vit tout. Ses yeux, rouges de rage, se voilèrent quand elle vit s’éteindre l’éclat de son amour. Puis elle hurla.
— « POUR MA FILLE ! POUR CROK ! »
Elle libéra la totalité de sa magie, une explosion d’air tranchant en spirale, déchirant des rangs entiers… jusqu’à Yeolset. Elle l’atteignit. Un instant.
Puis il tendit la main.
Seta fut plaquée au sol par une force invisible, les os broyés. Elle s’effondra, les bras tendus vers le ciel comme pour y rattraper ce qu’elle venait de perdre.
Mathieu, seul, chancelant, traça une rune instable dans la terre.
Une sphère noire se forma, instable, bouillonnante. Il la projeta…
Mais une créature à douze cornes bondit.
L’éclair de mort fut détourné.
Et Mathieu reçut une lame au travers du ventre.
Il s’effondra.
Ne restait que Mél.
Seule.
Yeolset, depuis les hauteurs, descendit lentement. Le silence s’étirait. Le masque de Mél était fendu. Son cœur battait comme un tambour de guerre oublié.
Il fut sur elle en un éclair.
Il l’attrapa par le cou.
Elle se débattit, sans force.
— « Pourquoi ? » murmura-t-elle.
Sa voix portait dans ce silence abyssal.
— « Pour Tokvielle, le dieu unique. » répondit-il, d’une voix grave et résonnante.
— « Tu nous as trahis… pour un dieu ? »
— « Ce n’est pas un dieu. C’est Le dieu. »
Avant qu’elle n’ait pu répondre, un craquement sinistre fendit l’air.
Le démon brisa sa nuque d’une main brutale.
Il lâcha le corps inerte qui s’écrasa sur le sol, immobile.
Il se retourna lentement, dominant le champ de ruines.
Un portail immense, rouge et tourbillonnant, s’ouvrit à ses pieds, vibrant d’une énergie obscure.
L’armée démoniaque s’engouffra dans le portail, disparaissant dans un silence funèbre.
Le démon à une corne se tourna une dernière fois vers les cadavres, ses yeux flamboyant d’un éclat cruel.
— « Si seulement vous vous étiez agenouillés… Je n’aurais pas eu à rompre tant d’années d’amitié. »
Le portail se referma, laissant derrière lui un monde dévasté, le cœur brisé et l’espoir à genoux.
≈
Le silence pesait sur le champ de ruines dévasté.
Parmi les cendres, une petite silhouette se faufilait avec prudence, ses grands yeux noirs aux pupilles fendues scrutant l’horizon.
Cinnus Rus, chasseur de la tribu de Merlun, un jeune Umas d’une quinzaine d’années, avançait à pas feutrés.
Son pelage marron foncé, tacheté de roux, se confondait avec la terre sombre.
Léger, agile, il maîtrisait les magies de terre : creusement, boue mouvante, scellement de roche.
Armé de sa fronde et de ses dagues, il restait à l’affût, le nez froncé, cherchant à comprendre ce carnage dont il ne percevait que les derniers soubresauts.
Au loin, un jeune homme blond avançait lentement, vêtu d’une toge de coton simple et usée, portant un bâton noueux.
Il observait la scène sans émotion apparente, les traits calmes malgré l’horreur.
Soudain, un démon surgit, griffes acérées prêtes à déchirer.
D’un simple geste du bras, une énergie éclatante jaillit de ses doigts, frappant la créature.
En un instant, le démon se désintégra, comme avalé par le néant.
Intrigué, Cinnus s’approcha, sa curiosité piquée par la puissance tranquille de cet inconnu.
Le jeune blond tourna la tête, croisant le regard noir et vif de l’Umas.
— « Qui es-tu ? » demanda Cinnus d’une voix douce mais ferme.
Le blond esquissa un léger sourire, presque fatigué.
— « Quelqu’un en route vers le nord, vers Uruel. » répondit-il simplement.
Sans attendre plus, ils s’engagèrent côte à côte, quittant les ruines calcinées pour un avenir incertain.
Leur destin s’entrelacerait bientôt, porteur d’espoir et de conflits, dans un monde où les dieux eux-mêmes tissaient la trame du chaos.

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