Chapitre 3Â : Vengeance
Tapi dans l’ombre, j’allumai une boule de tabac à pipe que j’avais compressée, trahissant un instant ma position, puis la jetai au sol, juste en dessous de moi.
Les gnolls étaient là , reniflant bruyamment, me cherchant dans la pénombre de la pièce.
L’odeur fit son office : les clébards commencèrent à éternuer, même les plus gros semblaient gênés par la puanteur.
Je profitai de ce laps de temps pour lancer une explosion de flammes contre le mur de glace qui bloquait toute fuite.
Un nuage de vapeur se répandit dans la pièce, obstruant la vue des gnolls. Sans attendre, je sortis de l’ombre en courant, tranchant autant de gorges que possible en me dirigeant vers la sortie.
Derrière moi, une dizaine de cadavres s’accumulaient.
Arrivé à l’entrée, je me glissai dans son ombre ; aucun éclairage ne perçait les couloirs.
La fumée du tabac avait été évacuée par les trous dans le plafond de la grotte, des aérations naturelles que j’avais repérées de l’extérieur.
Il n’était plus temps de réfléchir, je devais sortir vite, avant que leurs narines ne retrouvent toute leur acuité et qu’ils ne me poursuivent.
Si, par malheur, je me retrouvais encerclé par cette meute de clébards sans issue de secours, je serais un homme mort.
Suivant la carte des souterrains de Process, après avoir éliminé les chiens fous que je croisai dans les passages du donjon, j’atteignis rapidement la surface.
Je me dissimulai dans la forĂŞt, oĂą les odeurs de plantes et de vie sauvage suffisaient Ă masquer mes propres effluves olfactives.
Je notai l’emplacement de la grotte sur ma carte : il me faudrait quelques préparatifs pour revenir les subjuguer.
« Si j’attrape ces traîtres… », me dis-je en m’éloignant du donjon aux gnolls.
Je m’enfonçai dans la forêt en direction de Bruvére, suivant l’itinéraire tracé sur ma carte.
Deux jours plus tard, alors que je me dirigeais toujours vers Bruvére pour acheter de quoi mettre en œuvre mon plan, et récupérer de quoi vivre un temps,
j’aperçus un feu de camp dans la pénombre de la forêt.
Plus tôt dans la journée, j’avais repéré un ours massif aux deux cornes sombres sur le front.
C’était une des espèces de ce monde que j’avais déjà répertorié dans la base de données de Process, lors de mon séjour à l’auberge « Au bon repos ! ».
J’avais interrogé les chasseurs sur les créatures croisées, mais ils m’avaient pris pour un inculte étrange et s’étaient moqués de moi.
« Qui serait assez stupide pour allumer un feu sur le territoire d’un ours à cornes de fer noir ? » me demandai-je en m’approchant prudemment de cette cible suspecte.
Restant invisible dans l’ombre de la nuit, parmi les arbres, je tendis l’oreille, entendant des voix tout en avançant avec précaution.
— « Bon, encore un échec… Mais y a pas eu de grosse perte. »
— « Va falloir y retourner combien de fois ? J’en ai marre de m’emmerder avec ça », se plaignit une voix féminine.
— « Je pense qu’encore une, voire deux équipes pour bien diminuer le nombre, et ensuite on pourra appeler le chef », répondit un homme.
— « J’ai hâte de voir les autres, ces Hommes-bêtes m’insupportent », continua la femme.
— « Ils sont stupides, et une bonne chair à canon qui nous coûte moins cher que des esclaves… »
— « Même ! Franchement, fais-le tout seul ! »
— « Je ne peux pas… ce sont les ordres de Piérick », insista la voix masculine.
— « Ah… oui, ce sont les ordres du chef, alors on fera comme tu dis, mais seulement deux fois maximum ! », dit la fille timidement.
Je reconnus les voix. Ce n’étaient autres que mes amis Réna et Ruel.
Un regard froid clignota dans mes yeux, derrière mon masque plus sombre que la nuit.
Je sortis deux seringues de mon espace subspatial, de petits instruments Ă pression automatique de couleur vert clair.
Je m’approchai silencieusement des traîtres, dans leur dos, sous la danse voluptueuse des flammes orangées.
Je lançai mes armes, le couple s’effondra, inconscient, tandis que les seringues se vidaient dans leurs corps.
~~~
Point de vue de Ruel et Réna.
Ruel ouvrit les yeux difficilement, sa tête semblait rebondir et ses yeux s’enfoncer à l’arrière de son crâne.
Il faisait sombre autour de lui, sa vue s’habituait à l’obscurité.
Des parois de pierre, le bruit d’une goutte d’eau tintant en tombant au sol.
Il voulut bouger, mais en fut incapable. Était-il paralysé ?
Il baissa la tête et aperçut un anneau scintillant, à peine plus d’un centimètre de diamètre, entourant son torse.
Ce cercle ne le contraignait pas physiquement, mais il ne pouvait plus bouger, comme si son corps refusait d’obéir à sa volonté.
Paniqué, il regarda autour de lui. Il put bouger la tête et distingua une forme allongée : quelqu’un d’autre était là .
— « Hey ! Hey ! » cria Ruel.
— « Hummm », répondit la silhouette, elle aussi entourée par un anneau identique.
— « Hey, on est où ? » demanda Ruel.
— « Qu’est-ce que j’en sais, moi ? » répondit avec fainéantise la voix de Réna.
— « Réna ? C’est toi ? »
— « Qui veux-tu que ce soit ? » s’énerva-t-elle en ouvrant les yeux, tentant de se lever avec colère.
— « Pourquoi je ne peux pas bouger ? On est où ? » demanda-t-elle en reprenant conscience.
— « Je pense qu’on a été capturés », répondit Ruel d’un ton sombre.
— « Par qui ? Pourquoi ? » demanda Réna, inquiète.
Ruel ne put que regarder autour de lui avec un mauvais pressentiment.
Ils hurlèrent et crièrent, mais rien ne vint.
Leur solitude et leur inquiétude grandirent pendant trois jours.
La soif et la faim devinrent insoutenables, ils perdirent la force de parler ou de crier, la gorge aussi sèche que le désert, leurs corps s’amincissaient, vidés d’énergie.
Ils avaient abandonné tout espoir d’être secourus.
— « Bonjour, avez-vous passé un bon séjour dans notre chambre la plus spacieuse ? », demanda une voix rauque.
Surpris, ils tournèrent la tête et découvrirent une ombre.
Oui, c’était bien cela, une silhouette humanoïde entièrement noire, ne reflétant pas un brin de lumière, comme si elle n’avait pas de forme propre.
En effet, la vision humaine perçoit les objets par les rayons lumineux qu’ils émettent ou reflètent.
Sans lumière, c’est comme regarder du 2D.
L’ombre s’approcha lentement, se baissa, et donna de l’eau à Réna puis à Ruel.
Ils burent sans hésiter.
— « Merci, vous nous sauvez », déclara Réna avec gratitude.
— « Ho ? Vous sauver ? Non, ce n’est pas le cas. Il aurait été dommage que vous mouriez si simplement, sans souffrance », répondit la voix, avant de piquer la nuque de Ruel avec une seringue. Il tomba inconscient.
L’ombre s’approcha de Réna.
— « Je ferai ce que vous voulez, vous pouvez même utiliser mon corps… Je connais des gens haut placés qui pourront vous dédommager… »
Elle s’effondra à son tour, après avoir reçu la piqûre dans la nuque.
~~~
Réna ouvrit doucement les yeux, sentant son corps contraint.
Elle remarqua qu’elle était attachée nue à une croix de bois brut.
— « Qu’est-ce que… ? » murmura-t-elle en regardant autour d’elle.
Une autre croix faisait face à elle, Ruel, lui aussi complètement nu, y était attaché.
— « Hoy, Ruel ! » cria-t-elle, se souvenant de l’ombre, de la grotte, de la faim, de la soif, et de son immobilité.
Elle bougea une main : au moins, elle avait retrouvé sa mobilité.
Elle chercha l’ombre mais ne la vit pas ; ils étaient tous deux liés aux croix de bois.
Autour d’eux, il faisait nuit. À ses pieds, l’ombre fugace de l’herbe ondulait au souffle du vent.
— « Que… ? » demanda Ruel en se réveillant.
— « Ha ! Vous êtes tous deux réveillés ? J’en suis fort aise », dit la voix rauque qui émanait de la pénombre.
— « Qui êtes-vous ? » jappa Réna avec haine.
— « Qui suis-je ? Un mort, sans doute. Ou plutôt un laissé-pour-compte », dit l’ombre en repliant son masque sur sa nuque, révélant un visage ridé aux cheveux grisonnants, vêtu d’un cuir clouté de chasseur.
— « Fanel ? » demanda Ruel, reconnaissant l’homme.
— « Honoré que tu te souviennes de mon nom, gamin », répondit-il, sans quitter du regard la jeune fille nue.
— « Putain de merde, pourquoi tu nous fais ça, le vioc ? » hurla Réna.
— « Je serais toi, je baisserais d’un ton. Il serait dommage que les invités arrivent déjà  », répondit Fanel avec amusement.
— « Les… invités ? » demanda Ruel, rougissant.
— « Ho ? Timide gamin ? » ricana Fanel, ignorant ce à quoi pensait le morveux.
— « Qu’allez-vous nous faire ? Pourquoi sommes-nous nus ? » demanda Réna, serrant les dents.
— « Moi ? Rien du tout, promis, je ne vous ferai rien. »
— « Alors, laisse-nous partir, on peut te donner plein d’argent si tu veux », supplia Ruel.
— « Oui, notre chef va bientôt arriver. Il te dédommagera », ajouta la fille en hochant la tête.
— « Votre chef ? Je m’en moque. Vous allez mourir ici, comme vous avez tué les autres. »
— « Je… je… »
— « Oui, vous êtes mes appâts. On ne fait pas une bonne pêche sans un bon appât », répondit Fanel en s’éloignant.
— « C’est aussi la raison de votre état dévêtu. Ça aurait été du gâchis de laisser détruire vos affaires alors que je peux m’en enrichir », précisa-t-il en redevenant ombre.
— « Pitié ! Pitié… » sanglota Réna.
— « Tu le regretteras ! Putain ! Notre chef ne laissera jamais passer ça. Il te chassera jusqu’en enfer, tu entends, enculé ? » cria Ruel avec colère.
~~~
J’avançais prudemment. Tout était en place. Je jetai un regard aux deux appâts attachés dans la clairière en contrebas, puis repris ma marche vers ma prochaine destination. Un certain apaisement venait tempérer la tempête de trahison qui bouillonnait encore en moi.
« Leur chef, hein ? Ce Piérick ? On verra bien… » murmurai-je en bourrant les orifices d’aération naturelle de la grotte avec des touffes d’herbe et de tabac séché, avant de les enflammer une à une. Je scellai chaque issue d’une grosse pierre, puis me plaçai en embuscade sur la colline dominant l’entrée de la grotte, dissimulé dans l’ombre.
Je sortis un condensateur élémentaire de mon espace dimensionnel : un dispositif en forme de pistolet, conçu pour canaliser et amplifier les décharges élémentaires. Une [étincelle] devenait ainsi une boule de feu meurtrière. C’était un outil précieux : il économisait mon énergie tout en me permettant d’agir discrètement.
Les premiers couinements retentirent. Les gnolls commencèrent à sortir un à un. Je les accueillis avec des tirs bien placés : une balle de feu dans la tête. Les plus lents tombèrent aussitôt. Ceux qui tentaient de fuir furent happés par les nombreux pièges que j’avais installés plus tôt, achetés à Bruvére.
Des membres furent sectionnés par les pièges à loups, d’autres empalés par les pieux ou criblés de carreaux tirés par des arbalètes automatiques enchantées. Ce monde avait beau être arriéré technologiquement, sa magie compensait largement. Les arbalètes se comportaient comme des armes intelligentes : elles repéraient la chaleur et tiraient à vue, jusqu’à épuisement de leur charge.
Les cadavres s’empilaient, souillant la terre de leurs chairs calcinées.
Un hurlement plus puissant éclata dans la grotte. Un ou plusieurs boss allaient sortir. Je chargeai un [Feu follet] dans mon arme.
Un gnoll énorme émergea, balayant les cadavres à coups de pied. Je tirai alors qu’il me tournait le dos. L’explosion le réduisit en morceaux – une pluie de tripes, d’os et de sang s’écrasa sur le sol, ne laissant que ses jambes, qui tombèrent dans un bruit étouffé.
Deux autres gnolls massifs sortirent à reculons, tentant de repérer ma position. Je chargeai un nouveau [Feu follet] et l’envoyai : le deuxième explosa à son tour. Le troisième hurla, repéra ma position approximative, et se mit à grimper vers moi, suivi par une vingtaine de gnolls furieux.
Je pris la fuite en direction des appâts, laissant mes traîles m’effacer dans la nuit. Je trouvai refuge sur une branche, caché dans l’obscurité.
Les bêtes arrivèrent, menées par leur chef. Les deux jeunes liés aux croix gémirent en entendant les clameurs monstrueuses.
« Pitié… non… non… » supplia Ruel, secouant ses liens, jusqu’à dégager une main. Il rassembla ses forces pour invoquer une pique de glace, qu’il planta dans le crâne d’un gnoll affamé. Le cri de la créature se mua en un gargouillis final.
Mais les autres ne se firent pas attendre. Ils se ruèrent sur lui avec rage. Sa croix renversée, Ruel, toujours attaché, se fit déchiqueter vivant. Ses hurlements étaient inhumains, les plus atroces que j’aie jamais entendus.
Réna, de son côté, était déjà évanouie, ses jambes arrachées par deux gnolls qui s’en repaissaient avidement.
Je jetai un dernier regard vers la grotte : plus aucun renfort.
Je chargeai une [Explosion de flamme] que je lançai au centre du groupe. Le chef explosa. Les flammes déferlèrent, embrasant les croix et les fourrures. Les hurlements de douleur retentirent, Réna, réveillée par les flammes, se mit à crier à son tour. Une cacophonie de feu et de souffrance s’éleva dans la nuit.
Je finis les fuyards un à un, chaque [étincelle] fauchant sa cible.
Lorsqu’il ne resta que le silence, je sortis de ma cachette. Mon masque se rétracta autour de mon cou. Je dégageai les pierres des orifices et quittai les lieux pour la nuit. J’explorerais la grotte à l’aube, une fois la fumée dissipée.
Je marchai jusqu’à la rivière. L’odeur de fumée et de sang m’écœurait.
« Bon… voyons ça. » murmurai-je en fouillant mon espace subspatial.
Par miracle, je retrouvai ma tente. J’avais oublié son existence. Une tente autonome, oubliée pendant des mois. Elle m’aurait évité tant de nuits inconfortables…
Je la dépliai. Camouflage adaptatif, deux mètres de haut, quinze mètres carrés d’intérieur. Un vrai petit logis.
« Dommage qu’il n’y ait pas l’eau courante… »
Lit de camp, frigo, plaques à induction, ustensiles, douchette, générateur solaire, bouclier de camouflage, outils de survie… mais pas d’énergie.
Je mis en place des pièges rudimentaires, faute de matériel. Puis je m’écroulai sur le lit.
J’activai l’interface et lançai une vidéo de mes petites-filles.
L’écran afficha aussitôt une scène familière. Deux fillettes jouaient dans un jardin aux couleurs éclatantes. L’une sautait à la corde, éclatant de rire, tandis que l’autre s’efforçait de dessiner des étoiles sur le sol avec une craie rose. Le soleil semblait les envelopper d’une chaleur irréelle, presque indécente dans ce monde devenu si froid.
Le son de leur voix – aigu, pur, vivant – me transperça le cœur.
« Regarde, Papi ! J’ai fait un soleil qui brille ! »
« Et moi, j’vais courir plus vite que le vent ! »
Je me surpris à sourire malgré moi. Mes yeux piquèrent.
— Haaaah… Elles me manquent, mes choupinettes… Papi reviendra bientôt, je vous le promets.
Je posai une main sur l’écran comme si je pouvais sentir encore la douceur de leurs cheveux, leur chaleur, leur innocence intacte.
Mais autour de moi, tout puait la rouille, la moisissure et la solitude. Leur monde à elles semblait appartenir à un autre univers… et peut-être était-ce le cas.
Le matin venu, je déployai les capteurs solaires pour recharger les batteries.
« J’aurais dû acheter plus de provisions à Bruvére… »
Affamé, je plaçai un filet dans la rivière. L’odeur qui se dégageait de moi me fit grimacer.
« Je schlingue… »
Je partis explorer la grotte. Mon IA dressait une carte pendant que je fouillais les lieux. Quelques trésors oubliés : équipements, 4 pièces d’or, 150 d’argent, 300 de cuivre. Suffisant pour un temps.
Au fond du donjon, une porte verrouillée. Je la crochetai, prudemment. Un grognement sourd me glaça le sang. J’esquivai de justesse alors qu’un gnoll gigantesque enfonçait la porte et chargeait.
Je dégainai mes dagues nocturnes.
« Désolé mon gars, je suis trop vieux. Ma viande, c’est de la semelle… »
Il frappa. Sa patte fendit la roche. J’enfonçai une lame enflammée dans son coude. Il hurla, arracha la dague de son bras en jetant un regard fou.
Ses yeux étaient rouge cramoisi. La folie. La vraie.
La maladie des trois univers. Symptômes : yeux rouges, rage inextinguible, cannibalisme. Les infectés attaquent tout ce qui vit, poussés par une faim inhumaine.
Je compris pourquoi la porte était verrouillée : ils l’avaient enfermé.
Il bondit. Je me baissai et plantai ma seconde lame dans son palais. Il s’effondra, et je pressai, chauffant la lame jusqu’à lui rôtir le cerveau. Son crâne craqua, et des flammes jaillirent de ses yeux.
Je soufflai longuement, m’asseyant à ses côtés.
« Costaud, la bestiole… plus de mon âge. »
Je me redressai, grognant de douleur dans le dos, et récupérai mes dagues. Dans la pièce, une épée étrange attira mon attention. Dès que je la touchai, une sensation rampante m’envahit.
« Enchantée ? Ou pire ? »
Je la plaçai dans mon espace subspatial et quittai la grotte.
De retour au camp, je récupérai mon filet de poisson et allumai un feu. Il était temps de manger… puis de me laver.

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