Chapitre 12 : Aller de l’avant.
Dans un arbre près de la cité frontière de Cl’av.
« Bonjour, messire Sillis Habig’Erma ! » s’inclina l’homme vêtu d’une toge à capuche sombre.
— Hum…
Le prince fit un signe de tête, baissant sa propre capuche qui laissa découvrir un visage carré, orné d’oreilles pointues et de cheveux vert émeraude. Ses yeux roses fixèrent l’humain devant lui.
« Que me vaut un envoyé de Maniars ? » demanda-t-il d’une voix froide.
— Je ne viens pas de la part de mon pays, mon seigneur, mais de celle du marquis de Virdis.
— C’est jouer sur les mots, le marquis n’est-il pas le plus grand conseiller de votre royaume ?
— En effet, Seigneur.
L’homme s’inclina à nouveau.
— Alors, qu’y a-t-il de si urgent ? J’étais en route pour récupérer une petite fugueuse, et vous me faites perdre mon temps ! » lança le prince avec un ton impétueux.
— C’est de cela qu’il s’agit. L’un de ces compagnons est un humain nommé Fanel Frozz, suspecté d’avoir participé à l’enlèvement du premier prince de Maniars.
— Ho ? Ma sœur fréquenterait un criminel ?
— Il semblerait. Nous n’avons pas osé attaquer votre sœur lorsqu’elle était sur notre territoire, mais nous désirons ardemment mettre la main sur ce Fanel pour l’interroger comme il se doit.
— J’ai donné l’ordre de les cantonner à la cité frontière. Allons donc arrêter ce Fanel.
Le prince Sillis se leva et marcha vers la formation de téléportation, suivi par le messager.
Ils apparurent en bas de l’arbre géant où une calèche ornée d’or attendait, attelée à des cervidés à six pattes, chacun mesurant plus de trois mètres. Sous l’œil vigilant des soldats du prince, ils montèrent à bord.
« Et que recevrais-je en vous rendant ce service ? » demanda le prince une fois installé.
— Nous vous donnerons ce que vous avez demandé. Une fois la conquête effectuée, vous recevrez les territoires limitrophes à la forêt éternelle.
— C’était déjà convenu ainsi ! Serait-ce un acte gratuit que je devrais vous accorder en bonne volonté ? » demanda le prince, les yeux acerbes.
— Jamais nous n’oserions, mon seigneur. Nous étendrons les territoires, c’est ce que je voulais dire. Rappelez-vous de bien venir rencontrer le marquis dans deux mois, répondit le messager, se rattrapant.
Au bout d’une petite heure, ils arrivèrent à Cl’av.
Le prince descendit de son carrosse, suivi du messager, sous le regard rigide des gardes-frontières au garde-à -vous.
« Capitaine. »
Le prince fit signe à un de ses gardes rapprochés, qui lui murmura un nom.
« Capitaine Brakus, je viens chercher ma sœur. Où est-elle ? » demanda le prince, sans accorder un regard à son interlocuteur.
— Mon seigneur ! répondit le capitaine en s’avançant.
— Nous avons eu une urgence : un donjon menaçant. Elle et ses compagnons sont partis le nettoyer ! » affirma l’officier.
— Quoi ? Comment osez-vous ignorer mes ordres ? J’avais dit qu’elle devait rester à la cité frontière ! » hurla le prince, rouge de colère.
— Seigneur… Ce sont les ordres de Sa Majesté. Nous ne faisons qu’appliquer la première loi : toute personne ayant le potentiel et la volonté de défendre les vies estrayantes se doit de nettoyer les donjons… » s’excusa Brakus.
— Stupide loi ! Quand j’aurai pris la place de mon père, je changerai tout cela ! Une loi pour protéger quelques plébéiens inutiles ! » cria le prince, fulminant.
— Brakus ! Rassemblez des hommes et allez chercher ma sœur immédiatement. C’est un ordre que vous n’avez pas le droit d’enfreindre ! » dit-il froidement, calmé.
— Seigneur, n’oubliez pas notre arrangement, murmura le conseiller.
— Il vous le faut absolument vivant ? » demanda le prince en se tournant vers lui, le regard glacial.
~~~
« Ça va mieux, Matis ? » demanda Cinnus en voyant l’Estrayante ouvrir les yeux.
— Quoi ? Où sommes-nous ? répondit-elle, allongée sur le brancard de fortune fait de branchages et de lianes.
— On est en route pour le poste-frontière, expliqua Rick.
— Tu as perdu connaissance après l’attaque du démon, précisé-je, inquiet.
Elle porta la main à l’impact, entre ses seins, et grimaça de douleur.
Nous nous arrêtâmes pour souffler, cela faisait plus d’une heure que nous traînions Matis.
Je m’assis sur un rocher et allumai ma pipe.
— Fanel, merci de m’avoir sauvé, dit Rick en s’approchant.
— Pas de problème, tu étais de toute façon sur notre route.
— Je n’ai plus de coéquipiers, alors je te suivrai un certain temps pour rembourser ma dette.
— Fais comme tu veux.
Matis se mit à tousser violemment dans sa main ; en l’ouvrant après la quinte, nous découvrîmes du sang.
— Elle doit avoir une blessure interne. Allonge-toi, s’il te plaît, dis-je en m’approchant d’elle.
— Préviens-moi quand ça fait mal, demandai-je en appuyant doucement sur différentes zones de son thorax, évitant soigneusement les parties sensibles.
— Argh… se plaignit-elle.
— Je vois… le poumon droit semble endommagé, mais aucune côte cassée ne perce, c’est déjà ça.
Après l’avoir aidée à se relever, nous reprîmes la route, rassurés que ses blessures ne paraissent pas trop graves.
Au bout d’une bonne demi-heure à avancer péniblement dans la forêt tout en soutenant Matis :
— Stop ! murmura Cinnus, posé sur mon épaule.
— Qu’y a-t-il ? demandai-je à voix basse.
— J’entends une troupe droit devant.
— Restons cachés, chuchotai-je en nous glissant vers un buisson.
Accroupis dans la verdure, nous scrutâmes la forêt silencieuse. Bientôt, une trentaine de soldats de la Forêt Éternelle apparurent. Je reconnus le capitaine Brakus. Mais il semblait gêné, mal à l’aise.
Matis tenta de se lever, mais je la retins d’un signe de tête. L’atmosphère était lourde, l’instinct me soufflait prudence.
Un soldat s’approcha du capitaine et lui murmura quelque chose. Celui-ci braqua son regard dans notre direction.
— Le sort de détection ? pensais-je. Bien sûr, ce sont des Estrayants. Matis n’est pas la seule à posséder ce genre de pouvoir.
— On fait une pause ! annonça le capitaine.
Tous les soldats s’immobilisèrent. Le capitaine s’éloigna vers un arbre.
— Où vas-tu, capitaine ? demanda un soldat dont l’armure, bronze terne, détonnait parmi les autres.
— Je vais me vidanger, tu veux m’accompagner ? répondit-il avec ironie.
— Tsss… fit le soldat en claquant la langue.
Le capitaine, adossé à l’arbre, murmura près de nous :
— Je suis navré, princesse, votre frère est arrivé à la ville frontière plus tôt que prévu… Nous avons ordre de vous capturer et de ramener les cadavres de vos compagnons.
— Mon frère ? murmura Matis, abasourdie.
— Oui. Je vous en prie, fuyez ! Nous savons tous ce qui vous attend si l’on vous ramène… Vous serez enfermée jusqu’à l’âge de fécondité, puis il profitera de vous jusqu’à la mort… continua le soldat.
— Avec la protection de la déesse Aspharâtre, fuyez et vivez heureuse, princesse, conclut-il avant de s’éloigner.
Le teint de Matis s’assombrit en regardant partir le soldat fidèle. La troupe reprit sa marche.
Quand nous fûmes sûrs qu’ils étaient suffisamment loin pour ne plus nous repérer, nous sortîmes de notre cachette.
— On fait quoi ? demanda Cinnus dans un silence lourd.
— On ne peut pas aller au royaume de Maniars, et on ne peut pas rester dans la forêt éternelle… souffla Matis, épuisée par ces revirements.
— Il nous reste quoi comme options ? demandai-je.
— Je ne sais pas pourquoi vous ne pouvez pas aller à Maniars, mais on peut se diriger vers Crovés à l’est, ou vers les terres sauvages au sud-ouest, dit Rick.
— Désolée de vous avoir entraînés là -dedans… s’excusa soudain Matis.
— Ce n’est pas ta faute si ton frangin est cinglé ! la rassura Cinnus.
— Oui, c’est injuste d’accuser la victime pour ce qui nous arrive. Et je suis surpris que tu sois la princesse de ce pays… dit Rick, étonné.
— On n’a pas de temps à perdre, allons au plus proche : le royaume de Crovés, je suppose, dis-je, fronçant le front.
— On doit déjà trouver un moyen de traverser le fleuve, précisa Matis, semblant aller un peu mieux, ses joues rosissant.
— On a caché un navire à vent quand nous sommes venus, se souvint Rick.
— Je t’apprécie de plus en plus, lui lança la princesse avec un sourire taquin.
— Allons-y, ne perdons pas de temps. On ne sait pas quand les gardes s’apercevront que nous avons fui le donjon, annonçai-je en me levant.
~~~
À Barrière, royaume de Maniars
— Pierick ! Herbs entra précipitamment dans l’auberge où le groupe de chasseurs était réuni.
Les cinq hommes étaient assis autour d’une table, l’air déprimé.
— Qu’y a-t-il, Herbs ? demanda Grog.
— J’ai des nouvelles de nos informateurs dans le royaume de la Forêt Éternelle, annonça-t-il.
— Qu’en est-il ? demanda Marie, sans grand espoir.
— Les soldats ont reçu l’ordre de tuer cet autre enculé !
L’annonce laissa la troupe bouche bée.
— Maintenant que tu le dis, il me semble que les troupes de Maniars aussi les pourchassaient, fit remarquer Vector.
— Hum… Il faut trouver des infos à Maniars sur cette chasse, pourquoi les Estrayants veulent-ils l’abattre ? demanda Piérick.
— Il semblerait qu’il ait enlevé la princesse du pays. Le prince est fou de rage et a même mis une prime sur la tête de ceux qui accompagnent la princesse, expliqua Herbs.
— Bien, c’est notre chance. S’il ne peut plus rester dans la forêt, il va revenir. Mais s’il est vrai, comme le dit Vector, que les troupes de Maniars le poursuivent aussi, il ne lui reste plus que Corvés.
— Préparez-vous, nous allons à la frontière pour les choper et les réduire en bouillie ! annonça Piérick en se levant.
— Ouais, on va leur éclater leurs sales faces de rats ! dit froidement Morlin en se levant à son tour.
Toute la troupe frissonna à la vue du visage sadique du guerrier, qui devait déjà se délecter de sa vengeance dans son esprit tordu.
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Ă€ Roseville, capitale du royaume de Maniars
Le capitaine Rodville observait ses troupes se rassembler en ordre devant lui. Son lieutenant s’approcha.
— Les troupes seront bientôt prêtes à recevoir les ordres, capitaine ! dit-il en se mettant au garde-à -vous.
— Hum… A-t-on bien fait d’enlever le premier prince ? demanda soudainement Rodville.
— Comment ? Monsieur ?
— Non, oubliez ça ! répondit-il en se ressaisissant.
Il s’avança face à ses hommes.
— Messieurs ! Aujourd’hui est un grand jour !
Il observa le millier d’hommes immobiles devant lui, sous l’estrade où il faisait son discours.
— Aujourd’hui sera marqué d’une pierre blanche : le jour où vous, soldats émérites du grand royaume de Maniars, deviendrez des héros ! Oui, des héros protégeant votre descendance et l’avenir de notre pays !
— Ces macaques de Rainevars ont osé enlever et faire subir on ne sait quelle souffrance à Sa Seigneurie, le premier prince ! Aujourd’hui commence notre revanche sur cette sous-race ! Par la bénédiction d’Adrevance, notre dieu, nous allons les anéantir !
Sa voix résonna forte dans le silence. Les hommes galvanisés crièrent en levant leurs armes haut dans le ciel.
— Et ce chasseur qui doit porter le chapeau ? demanda Rodville à son lieutenant en se retournant.
— Les Estrayants n’ont pas réussi à le capturer.
— Encore une sous-race inutile… murmura le capitaine.
— Nous partons pour la frontière, en route ! cria-t-il.
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À Térénan, capitale du royaume de Crovés
— Votre Excellence, il semblerait que les troupes de Maniars se dirigent vers notre frontière, annonça le conseiller au pelage sel et poivre.
— C’est ainsi alors… murmura le roi, assis sur son trône orné d’une couronne en buis fin, qui s’accordait parfaitement à son pelage roux.
— Du côté des oreilles blanches ? demanda le roi.
— Aucun mouvement pour le moment. Il n’y a que leurs troupes habituelles, postées de l’autre côté du grand fleuve, répondit le conseiller.
— Assemblez des hommes à la frontière, nous allons faire face ! ordonna le roi.
— Foutus sans-poils, créant un prétexte pour nous envahir. Cette fois, je vais les détruire. Que la déesse Iriana m’en soit témoin ! serra le souverain en grinçant des dents.
~~~
« Merde ! » s’écria Cinnus en sautant sur l’épaule de Rick.
— T’arrête pas, je vais les ralentir ! lança-t-il en jetant un sort de creusement derrière la calèche.
Pendant ce temps, Rick façonnait des armes rouillées, les transformant en tribulus* acérés qu’il lançait sur nos poursuivants.
*tribulus ou chausse-trappe (ou pied de corbeau) est un piège métallique constitué de pointes disposées de telle sorte que l’une d’elles, posée sur une base stable, est orientée vers le haut (par exemple selon la forme du tétraèdre). Les pointes peuvent être enduites de poison.
Cela faisait deux semaines que nous avions quitté le territoire des Estrayants. Je conduisais la calèche qui transportait Matis, dont la santé ne cessait de se détériorer.
Hélas, un malheur n’arrivant jamais seul, nos ennemis – le groupe de Piérick – nous avaient retrouvés, nous contraignant à fuir.
Si Matis avait été en meilleure forme, nous aurions tenté de les piéger au lieu de battre en retraite…
« Quand est-ce qu’ils vont nous lâcher ? » criai-je, serrant les dents, la colère bouillonnant en moi.
Matis se remit Ă tousser, crachant du sang noir.
Le coup porté par le démon semblait porteur d’un poison insidieux. Malgré les détoxifiants et potions de soin que je lui avais administrés, le poison résistait.
Lors d’une halte dans un village, nous avions consulté un guérisseur local qui n’avait jamais vu pareille toxine.
Nous n’avions pas eu d’autre choix que d’avancer vers Corvés, mais la troupe de Piérick avait tôt fait de retrouver notre piste.
« Tiens bon, Matis ! » criai-je derrière moi, en maintenant mon attention sur la monture cervidé qui tirait la calèche.
« Dès que nous franchirons la frontière, nous trouverons un médecin compétent. »
Devant moi, un passage étroit s’ouvrait entre deux crevasses.
Nous avions depuis un moment quitté la forêt luxuriante pour une étendue semi-désertique, parsemée de falaises et précipices, avec peu de végétation. Nous étions au nord-est de Bruvére.
Il fallait absolument semer nos poursuivants. La ville frontière Rainevarde de Trash n’était plus très loin, à seulement quelques lieues.
Je fonçai vers le passage étroit.
« Cinnus, à toi de jouer ! » lançai-je alors que la calèche entrait dans le couloir, si étroit que la carrosserie le frôlait de chaque côté.
— Ok ! répondit-il, lançant plusieurs sorts de creusement en succession rapide sur toute la largeur du passage. Sous nos ennemis, le sol céda, creusant un précipice juste derrière nous.
Les montures de nos poursuivants – sortes de grands volatiles – s’arrêtèrent net, désemparées, tandis que notre calèche poursuivait sa course.
FICHE PERSONNAGE
Sillis Habig’Erma, 128 ans, estrayant, prince héritier du royaume de la forêt éternelle.
Sillis est imbu de sa personne et ne désire qu’une chose, dominer et asservir sa jeune sœur.
Sillis n’a que peu de considération pour son propre peuple.
Avec la complicité de Pierre de Virdis, il prend en chasse notre protagoniste et son équipe pour les anéantir et ramener sa sœur. Il fricote depuis longtemps avec le marquis sur la guerre qui se prépare.

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