Chapitre 13 Adieu
Trash, royaume de Corvés
« Foutez le camp, saletés d’humains ! » cria une femme aux poils courts, blonds orangés, en serrant son enfant contre elle quand elle nous vit approcher.
Autour d’elle, une dizaine de Rainevars nous dévisageaient avec une peur visible dans les yeux.
« Nous ne vous voulons aucun mal, nous cherchons juste un médecin, » expliqua Rick calmement.
« Personne ne soignera votre race ici ! » hurla la Rainevarde en fuyant, emmenant son enfant terrorisé.
« Putain de merde, que se passe-t-il ici ? » s’emporta Cinnus, exaspéré.
« Avant de passer la frontière, on a entendu des rumeurs de guerre imminente… Je crois qu’elles se confirment, » répondis-je en remontant dans la calèche.
Nous étions dans la ville de Trash. Les maisons ressemblaient à des yourtes, mais faites d’un métal sombre et rugueux. La cité avait une forme ovale, traversée d’une unique rue principale bordée d’une haute herse de fer.
Des soldats rainevars s’approchèrent, leurs regards méfiants braqués sur nous.
« Hé ! Qu’est-ce que vous foutez à semer le désordre ? » demanda l’un d’eux.
« Pardon, nous sommes des chasseurs. Nous venons à peine de sortir d’un donjon et cherchons à soigner un compagnon, » répondit Rick d’une voix rapide, jaugeant les gardes courts et poilus.
« Ho ? Des chasseurs ? Je vous conseille vivement de quitter Corvés pendant qu’il en est encore temps. Votre foutue race va nous déclarer la guerre, » déclara un second soldat, l’air grave.
« Pourquoi ? Les relations se sont tellement dégradées ? » insista Rick.
« Votre race n’est qu’une vermine ! On aurait dû tous vous exterminer depuis longtemps, » cracha le premier soldat avec agressivité.
« Et comment savoir que vous n’êtes pas des espions ? Peut-être devrions-nous vous interroger en cellule ! » ajouta suspicieusement un troisième.
« Non non, on s’en va… » réagit Rick en montant prestement dans la calèche.
« Merde, ça pue vraiment, » murmurai-je en voyant les soldats se resserrer en cercle autour de nous.
Je frappai brutalement les rênes. Rick sauta à bord, la calèche bondit en brisant la formation.
« Faut qu’on quitte Trash vite ! » cria Cinnus.
« Je sais, pas besoin de me le répéter, » répondis-je, concentré sur la monture qui tirait l’attelage.
« Et Matis ? » s’inquiéta Rick en regardant la jeune femme pâle, inconsciente, enveloppée dans une peau de bête.
« Pour l’instant, on ne peut rien faire, » murmurai-je, le cœur serré.
Heureusement, les soldats n’avaient pas de montures, nous gagnâmes rapidement du terrain.
Matis se remit à tousser, plus violemment que d’habitude, crachant du sang sur le plancher de la calèche.
« Fanel, faut qu’on largue l’attelage, on est trop visibles ! » déclara Cinnus, hésitant en jetant un regard inquiet à l’Estrayante.
« Et Matis alors ? » demandai-je, anxieux, tout en continuant de guider l’attelage.
« Je crois… qu’il est déjà trop tard pour elle, » répondit Cinnus à voix basse.
« Comment ça ? »
« Je suis d’accord avec lui, » ajouta Rick, désemparé.
« On ne veut pas l’abandonner, mais continuer ainsi, c’est signer notre perte… » continua-t-il en baissant les yeux.
Je hochai la tête silencieusement, conscient de leur raison, mais incapable de me résoudre à la laisser derrière.
« Là -bas, une cavité rocheuse, » fit Rick en désignant une fente dans la colline aride.
Nous posâmes Matis sur une couche de peaux de bête à l’intérieur de la grotte, puis je fis fuir la calèche.
« Je vais chercher des herbes pour calmer sa douleur, » annonça Cinnus, inquiet, en s’éloignant.
Je restai seul avec Rick et Matis inconsciente, surpris de voir l’Umas, d’habitude si nonchalant, prendre l’initiative.
« On pense à elle aussi, mais… »
« Oui, je sais ce que tu veux dire. J’ai du mal à accepter qu’on doive l’abandonner… »
« Je… »
« Si cette foutue guerre et ces enfoirés ne nous avaient pas pourchassés, elle aurait pu être soignée… » crachai-je entre mes dents.
« Elle vit ses derniers instants… » murmura Rick, fermant les yeux.
Seule la respiration difficile de Matis remplissait la grotte.
Je m’assis à ses côtés, rongé par mon impuissance. Quinze jours à fuir, sans pouvoir lui offrir un vrai soin.
Je lui caressai doucement le front, brûlant de fièvre.
Elle ouvrit péniblement les yeux.
« Hey… vieux schnock, pourquoi t’as l’air si triste ? » demanda-t-elle faiblement, me regardant de ses yeux roses.
« On aurait dû te laisser dans la forêt éternelle, tu aurais pu être soignée, » murmurai-je.
« Non, c’était mon choix de venir avec vous… on n’a juste pas eu de chance, » articula-t-elle.
« Je regrette de ne rien pouvoir faire, » continuai-je, la voix douce, sentant la douleur monter en moi.
« Tu as fait de ton mieux, Fanel… » Une quinte de toux la coupa, teintée de sang noir.
Ma gorge se serra.
« J’ai peur, Fanel… » murmura-t-elle d’une voix tremblante.
« Je suis là , Matis, » répondis-je en prenant sa main dans la mienne.
« Je ne veux pas mourir ! » sanglota-t-elle, mais même ses larmes semblaient sèches.
Je n’avais rien à répondre. Je me contentai de lui serrer la main, la mâchoire crispée.
Elle se calma, du moins je le crus. Mais elle avait simplement cessé de respirer…
J’avais vu mourir bien des gens, mais là … sa mort me bouleversa profondément.
Des larmes me montèrent aux yeux, mais je ne pouvais rien contre ce destin funeste, si ce n’était hurler mon chagrin.
Mon cœur saignant sous la perte de cette compagne de voyage.
Je poussai un cri déchirant, sauvage, animal, cherchant à libérer ce poids qui m’étouffait.
Cinnus, alerté par mes hurlements, accourut dans la grotte. Il laissa tomber les herbes qu’il avait cueillies précipitamment dans le but d’apaiser Matis, sans effet.
Il s’agenouilla auprès d’elle et murmura d’une voix brisée :
« Je suis désolé. »
La larme qui roula sur son pelage soigné trahit sa douleur.
En fin de journée, Cinnus utilisa sa magie pour creuser une tombe décente. Rick façonna dans le sol trois épées courtes tirées de mon stock, disposées en un S inversé barré en son centre vertical, entouré d’une auréole.
C’était le symbole d’Aspharâtre, déesse des Estrayants.
Nous étions trois au-dessus de sa sépulture.
« Je jure de te venger, Matis. Ces enfoirés qui nous ont poursuivis paieront de leur vie ! »
Une lueur glaciale s’alluma dans nos yeux.
Oui, ils allaient tous mourir. J’aurais dû les affronter depuis longtemps, mais à vouloir fuir le combat, on ne faisait qu’alourdir nos pertes.
Je me tournai vers la grotte, prêt à me reposer. Demain serait encore une longue journée.
« Cinnus, Rick ! » dis-je d’un ton sec.
— « La prochaine fois qu’on les croise, on les pulvérise ! »
Je ne laissai pas de place au doute.
Ils hochèrent la tête, leurs visages fermés, prêts à en découdre.
Le lendemain, nous partîmes, laissant derrière nous une tombe fraîchement creusée, dans un coin semi-désertique à la frontière entre Maniars et Corvés.
L’atmosphère était lourde, le regret nous rongeait l’âme depuis la nuit entière.
« On continue le long de la frontière ? » demandai-je, précédé par Rick, qui trônait sur mon épaule, sans bras.
— « Oui. Si on est indésirables à Maniars et à Corvés, alors il nous faut rejoindre le duché de Rustien, » expliqua le guerrier.
« C’est loin ? » demanda mon compagnon d’épaule.
— « Oui, il faudra marcher plusieurs mois le long de la frontière. Mais c’est sans doute le seul endroit qui pourra nous accueillir. »
« Comment peux-tu en être sûr ? » demandai-je, dubitatif.
— « Le duché a toujours été neutre grâce à sa proximité avec l’Église d’Ovarion. »
« L’Église de qui ? »
— « Je sais que je suis encore nouveau avec vous, mais je suis surpris de votre ignorance, » me dit Rick, le regard interrogateur.
« Ouais bah, on s’en fiche, dis-nous ce que tu sais ! » s’énerva Cinnus.
— « L’Église d’Ovarion est la plus puissante organisation religieuse du continent, presque une entité à elle seule. Chaque peuple a ses dieux, mais cette Église est au sommet. »
« Comment ont-ils fait ? »
— « Ils ont une sainte qui possède le pouvoir de leur dieu de lumière. »
« Pouvoir, pas magie ? » demandai-je, intrigué.
— « Oui, elle n’utilise aucun mana, ses pouvoirs surpassent toute magie. C’est un don divin. »
« Ça reste des légendes, non ? Et quel rapport avec le duché ? » demanda Cinnus.
— « L’Église a son quartier général sur l’Île de la Lune, qui fait partie du duché. »
« De toute façon, on n’a pas le choix. Même cachés à Maniars, ce n’est qu’une question de temps avant qu’on nous retrouve, » dis-je.
— « À couvert ! » lança soudain le Umas en remuant les oreilles.
Nous nous couchâmes aussitôt derrière des roches ocre bordant le chemin de terre battue aride.
— « Cette présence qui nous surveille est toujours là . Elle est apparue quand on a largué l’attelage, mais cette fois, je la sens vraiment, » murmura-t-il.
Ici, sans arbres, le ciel était dégagé. Quelque chose tournait dans les airs, un insecte ? Petit, difficile à discerner.
— « C’est ça ! » dit le Umas, sûr de lui, désignant l’objet volant.
J’appuyai sur ma tempe et pris une photo. L’insecte s’éloigna, disparaissant bientôt.
— « C’est la même chose qui nous suit depuis Bruvére ? »
— « Oui, du moins la même sensation. »
Je me relevai avec mes compagnons, sortis ma pipe et l’allumai, m’installant sur un rocher.
— « Process agrandissement et identification, » dis-je.
— « À qui il parle ? » demanda Rick.
— « Aucune idée. Parfois, il parle tout seul, » répondit Cinnus en souriant.
Une image se projeta dans les airs, faisant tomber Rick à la renverse, pâle.
— « Qu’est-ce que… un démon ? » demanda-t-il.
— « Non, je suis humain. J’ai juste un œil remplacé. Concentre-toi sur l’image, » dis-je, fatigué par les derniers événements et la mort de Matis, mais voulant garder patience.
L’image montrait un petit être humanoïde d’environ 2 cm, peau verte, six cornes en couronne, ailes de chauve-souris lui permettant de voler.
— « C’est un démon, c’est sûr, » affirma Cinnus.
— « Pourquoi un démon nous suivrait-il ? » demandai-je, sceptique.
— « Pour nous espionner ? » proposa Rick, reprenant un peu de couleurs.
— « Oui, mais pourquoi ? On a commencé à avoir des problèmes seulement quand Cinnus l’a repéré. En fait, c’est la raison de toute notre situation actuelle… » conclus-je.
— « Comment ça ? » demanda Rick.
— « Si je n’avais pas essayé de voir ce qui nous observait cette nuit-là , je ne serais pas tombé sur le kidnapping du premier prince et on n’aurait pas dû fuir aussi loin, » expliquai-je.
— « Donc c’est de la faute de ce truc ! » s’exclama Cinnus.
— « On pourrait essayer de l’attraper ? » proposai-je.
— « Oui, préparons un piège, » dit Rick en se relevant.
Le soir, nous allumâmes un feu et nous couchâmes à même le sol, dans des sacs en peau de bête, protégés par des roches ocre.
L’insecte s’approcha, planant à une dizaine de mètres. Dans la nuit, avec seulement le feu comme lumière, il serait dur à repérer.
Heureusement, je pouvais activer ma vision thermique pour le distinguer.
Je fis un signe discret Ă Rick.
Il bondit hors de son sac et lança un filet métallique fin dans les airs. La mouche, surprise, tenta de fuir, mais le filet la rattrapa et la fit tomber au sol.
— « Hahaha, » rit le démon d’une voix grave et aiguë à la fois.
— « Quoi ? »
— « Pauvres mortels ! Par Tokvielle, vous croyez vraiment que ça m’arrêtera ? »
Il grandit soudain, atteignant la taille d’un loup d’acier. Le filet se déchira comme du papier.
— « Humain, je ne me laisserai pas attraper deux fois. Vous ne me verrez plus, » grinça-t-il avant de disparaître, probablement redevenu mouche.
— « C’est quoi ce bordel ? » demandai-je, abasourdi.
Personne ne sut répondre.
— « Cinnus, tu le sens toujours ? »
— « Oui, mais il s’éloigne. Il va garder ses distances. »
— « Merde, » grogna Rick.
— « C’est un démon intelligent. S’il nous suit depuis tout ce temps, c’est qu’il y a une raison, » murmurai-je.
— « Oui, mais laquelle ? »
— « Si on recroise l’occasion, on devra être prêts. Même s’il faut en venir au combat, » concluais-je en sortant la tente pour la nuit.
Le lendemain, nous repartîmes vers notre destination, suivant la frontière. Ce qui semblait simple s’avéra bien plus compliqué.
La frontière n’était qu’une large bande de plaines semi-désertiques, avec peu d’arbres ou de cachettes. Les patrouilles y étaient nombreuses, surveillant férocement la limite entre les deux royaumes prêts à s’entre-déchirer.
À la mi-journée, nous tombâmes sur une caravane de marchands.
« Bonjour, humain, » dit un des marchands, un Estrayant à la toge grise et capuche.
« Vous êtes chasseurs ? » demanda-t-il, bientôt rejoint par d’autres marchands – humains, Rainevars, hommes-bêtes – mêlant leurs races sans distinction.
— « Oui, » répondis-je.
— « Nous suivons la frontière pour ravitailler les troupes des deux côtés, » expliqua un marchand.
— « Vous voulez nous accompagner ? Un peu d’escorte ne serait pas de refus en ces temps troublés, » proposa un second.
— « Nous allons vers le duché de Rustien. Tant que c’est sur votre route, on peut vous suivre, » répondis-je.
— « Parfait, discutons salaire, » dirent-ils en nous invitant à les suivre dans une roulotte.
Se faire passer pour escorte de marchands serait sans doute un bon moyen de se cacher.
Pourquoi cette caravane ravitaillait-elle les deux camps ? Simple : l’argent n’a pas d’odeur ni de provenance. Tant que le jaune scintillant coule, les marchands font leur business.
Ainsi, nous continuâmes, peut-être plus en sécurité… mais rien n’est jamais sûr.
FICHE D’INFORMATION
Le Quasit
Une très petite créature à forme humanoïde dotée de 6 cornes formant une couronne sur son crâne chauve et de petites ailes de chauve-souris. Longs et fins, ses mains, ses pieds s’achèvent par de longs orteils démesurés et griffus, tandis que sa queue ressemble à celle d’un scorpion. Sa peau verte est couverte de pustules.
Le quasit est un démon moyen sournois qui sert souvent les pratiquants de la magie chaotique en tant que conseiller ou espion, susurrant les mauvaises actions à accomplir à ces victimes.
Le quasit peut modifier sa taille de celle d’une mouche à celle d’un loup de fer. Il possède un puissant poison hallucinogène qu’il n’utilise qu’en cas de danger immédiat.
Sous sa forme naturelle, il mesure une soixantaine de centimètres de haut pour un poids de 4 kg.
Le quasit parle le commun et l’abyssal.

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