Chapitre 18 Tout s’explique !
Torse nu, un collier d’acier serré autour du cou, deux autres aux chevilles, j’étais enchaîné au mur de cette pièce froide. Autour de moi, une cage de fer forgé, enduite d’une substance bleuâtre mystérieuse. Cette barrière inconnue bloquait mes capacités, mes compétences magiques, même parler à Process m’était impossible.
En montant aux derniers étages grâce à un diagramme de téléportation, j’avais aperçu le reste du niveau : laboratoires, bibliothèque, salle de recherche. J’étais donc enfermé dans l’aile scientifique de cette forteresse.
Dehors, des érudits en toge grise à capuche dessinaient un cercle complexe au sol. La sainte, celle que j’avais vue trôner au milieu des cadavres, s’approcha de ma cellule.
— Fanel, c’est bien ça ? Je suis contente de te rencontrer enfin. Ça fait longtemps que je t’attends, dit-elle avec un sourire cruel.
— Que voulez-vous dire ?
— Rien d’important, répondit-elle, distraite.
— Vous allez me tuer, n’est-ce pas ?
— Non, ce mot ne convient pas. Je ne vais pas te tuer, je vais te sacrifier.
— Pourquoi ?
— Tu n’as pas besoin de le savoir !
Je résistai à l’envie de répondre. Elle fit mine de réfléchir, puis se retourna et claqua des doigts. Deux gardes amenèrent son trône portatif, déjà utilisé dehors.
Elle s’assit, croisa les jambes, et me dévisagea comme un insecte.
— Après tout, pourquoi ne pas parler un peu ? annonça-t-elle en désignant le cercle que traçaient les érudits.
— Commencer par le commencement me paraît judicieux.
— Je ne suis pas de ce monde. Tout comme toi, je viens d’ailleurs. D’une planète nommée HJ1281KU4, Terra#5.
Je manquai d’air. Cette planète était la mienne.
— J’étais étudiante en bio-transfert moléculaire, un domaine dédié à la téléportation. Lors de l’incident, j’avais vingt et un ans, continua-t-elle.
— Une nuit, j’ai fait un rêve. Un soi-disant dieu nommé Ovarion m’a parlé. Il voulait que je devienne la voix de sa divinité, qu’il m’envoie accompagner « l’héroïne ».
— Un dieu ? marmonnai-je, incrédule.
— Ne m’interromps pas, ordonna-t-elle, le regard dur.
— Je ne comprenais pas pourquoi il voulait que j’accompagne quelqu’un d’autre, mais je n’avais pas le choix. Je suis apparue dans ce monde, à côté de cette soi-disant héroïne.
— Le plus ironique, c’est que l’héroïne en question… était ma sœur jumelle. Nous étions toutes deux serviles d’un dieu, dit-elle en riant amèrement.
— Ce que j’ai appris, c’est qu’il y a 112 ans, ma sœur m’a forcée à venir ici. Pendant un siècle, elle m’a menti, faisant croire que nous étions dans la même galère. Mais la vérité est tout autre.
— Elle m’a contrainte à la suivre, m’obligeant à vivre dans son ombre, comme sa doublure. Elle était vénérée, adorée, et moi ? Je n’étais qu’une servante, un fantôme.
— À bout de forces, prête à mettre fin à ma vie, j’ai été visitée par Tokvielle, le magnifique dieu unique. Il m’a proposé un marché : éliminer la sainte, prendre sa place pendant cent ans, semer la discorde et ouvrir un passage pour ses troupes.
— Tokvielle m’a expliqué que ce monde est brisé parce qu’il y a trop de dieux. Sans lui, je n’aurais jamais eu à vivre tout ça. Ma sœur s’est servie de moi, et à quoi servent les liens du sang, si ce n’est à ça ?
— Tous ses propos m’ont convaincue. Aujourd’hui, grâce à ton sacrifice, je vais enfin pouvoir retourner chez moi, dans le passé, retrouver ma jeunesse et réparer ce qui a été brisé.
— Mais moi, alors ? demandai-je.
— Silence ! gronda-t-elle, repoussant un garde qui s’apprêtait à me corriger.
Elle se retourna vers les encapuchonnés dessinant le cercle.
— Demain, nous travaillerons toute la nuit. À l’aube, le rituel pourra commencer.
Deux gardes vinrent se poster devant ma cage.
Ce nom, Gerva Stigma, me glaça. Gerva et Hermionne Stigma… les noms de mes petites-filles. Cette femme d’une cinquantaine d’années, ce bourreau, était-elle vraiment l’une d’elles ?
Avait-elle tué sa propre sœur par jalousie et dépit ? Ces histoires de dieux manipulant nos vies, montant familles contre familles… C’était fou.
Je tentai de calmer mon esprit, reprenant contenance. Un rire nerveux m’échappa, étouffé par le collier d’acier.
— Qu’est-ce qu’il a ? demanda un garde.
— Peu importe, demain il sera fini, répondit l’autre en m’ignorant.
— Mon Dieu… qu’ai-je fait pour mériter ça ? murmurai-je, fixant le plafond.
Je vis la boule de poils, furtive, qui s’était cachée en haut des barreaux de ma cage. Lentement, elle descendit et s’approcha.
— Ça va, Fanel ? chuchota-t-il. J’essaie de trouver une solution. J’ai une idée.
— Non, pars. Je dois rester. C’est une affaire de famille.
— Je ne comprends pas, si tu restes, demain tu es mort !
— Je sais. Fuis. J’ai encore une famille qui compte sur moi. Je mettrai un terme à tout ça.
— Quoi ? s’exclama un garde en se retournant.
Heureusement, Cinnus s’était caché juste à temps.
— Va, tant que tu le peux, lui chuchotai-je.
Il gravit les barreaux et disparut.
Quelques heures plus tard, la sainte revint.
— Fini ?
— Oui, Votre Sainteté. Vous pouvez commencer.
On me détacha, torse nu, et on me força à m’agenouiller au centre du cercle.
Les prêtres entamèrent leurs chants.
Gerva sortit un poignard d’argent.
— Récitez la formule, ordonna-t-elle.
Elle s’approcha lentement, le poignard scintillant.
— Puis-je dire une dernière chose ? demandai-je.
— Demande.
— Quand les parents ne suffisent pas, ce sont les grands-parents qui paient. Ta mère aurait dû être plus stricte, Gerva.
— Que veux-tu dire ? s’étonna-t-elle.
— Tu as tué Hermionne. Et moi, resterai-je sans punition ?
— Comment connais-tu ce nom ? Parle ! menaça-t-elle, brandissant le poignard.
— Tu ne m’as peut-être pas reconnu, mais moi, oui, répondis-je.
— Process, affiche la vidéo !
Mon œil s’ouvrit, projetant la vidéo des deux sœurs se disputant enfant.
La sainte fut stupéfaite, silencieuse, les prêtres poursuivaient leurs chants.
— Oui, je suis ton grand-père, Fanel.
— Et tu crois que ça va m’arrêter ? sanglota-t-elle, des larmes coulant sur ses joues en regardant la projection.
— Non. Je voulais juste que tu le saches.
Son visage se déforma de douleur. Dans un dernier geste, elle planta le poignard dans mon ventre.
La brûlure fut insupportable, j’avais l’impression que mes entrailles allaient exploser.
— Détection d’empoisonnement, tentative de régénération… Process signala mon état. Mes compétences revenaient-elles ?
— Ça va bientôt finir, la lame est empoisonnée, murmura Gerva.
— Échec, poison inconnu… Données insuffisantes, annonça Process.
Du sang coula de ma bouche. D’une main tremblante, je sortis un poignard de mon espace subspatial et le plantai dans la gorge de ma petite-fille.
Ses yeux s’agrandirent de surprise, puis elle s’effondra, son dernier souffle s’éteignant.
À ce moment, Cinnus planta ses griffes dans la gorge des deux gardes postés et fonça vers moi.
Mes paupières se fermèrent.
~~~
— Fanel ! cria Cinnus, tendant le bras vers le vieil homme au visage mi-robotisé.
Il regarda le corps sans vie s’effondrer, le cœur empli d’incompréhension.
Les prêtres, ayant compris ce qu’il venait de se passer, s’enfuirent en hurlant.
L’espace autour de la pièce se mit à vaciller.
Un portail bleu s’ouvrit.
Cinnus, seul, fut aspiré dans un vortex qui se referma sur lui, laissant derrière quatre corps inanimés.
Il ouvrit les yeux, étendu dans l’herbe.
Autour de lui, une forêt aux teintes monotones, un crépuscule rougeoyant.
L’air sentait le fer.
Devant lui, un précipice.
Au fond, une armée de démons à la peau sombre, couverts de cornes innombrables, avançait sur un champ jonché de cadavres humains.
Au centre, un démon à une seule corne tenait une jeune femme à bout de bras.
Le silence était pesant.
Cinnus se coucha pour se cacher.
— Pourquoi ? cria la jeune femme, tentant de se défaire.
— Pour Tokvielle, le dieu unique !
— Tu nous as trahis pour un dieu ? hurla-t-elle.
— Ce n’est pas un dieu. C’est Le Dieu !
Un craquement retentit. La nuque de la jeune fille se brisa.
Le démon lâcha son corps.
Il se retourna vers l’armée et ouvrit un immense portail rouge.
Tous les démons entrèrent dans le portail.
Le démon à une corne regarda les cadavres.
— Si seulement vous vous étiez agenouillés, je n’aurais pas dû rompre tant d’années d’amitié.
Le portail se referma.
Cinnus se releva, abasourdi.
— Où suis-je arrivé ? murmura-t-il.

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