Ils arrivèrent au centre de l'esplanade. Des jets d'eau argentée illuminaient trois fontaines hautes de plusieurs mètres. Gabriel se délecta des spirales délicates de l'eau qui chantait dans les airs avant de frapper la pierre en claquant. Cette halte dans la traversée du marché lui fit du bien. L'eau avait toujours eu un effet apaisant sur lui.
Il fut ensuite entraîné au-delà de la place, dans une avenue montante. Les habitations de la cité étaient aussi originales que ses habitants. Les pavillons, chaumières et petits immeubles autour de lui semblaient incapables de se décider: architecture Belle au bois dormant, Blade Runner ou Londres du 19ème siècle... ? Allez, un peu de tout, ça ira bien!
Une chatte au pelage tacheté de rose traversa l'avenue avec sa progéniture. Tigrés dans les mêmes tons que leur mère, les quatre chatons s'éparpillaient sur la chaussée. Nullement intimidée par les passants, la chatte leur bloqua le passage le temps de rassembler ses petits, avant de disparaître avec eux sous une clôture.
Un quart d'heure plus tard, l'avenue doubla de largeur avant de déboucher sur un parvis monumental. Une large bâtisse à la façade vert pâle, ornementée de sculptures discrètes, projetait son ombre sur eux. Gabriel dénombra trois portes, ce qui indiquait sans doute autant d'ailes dans le bâtiment. Des lanternes de fer forgé, identiques à celles aperçues dans la forêt, étaient visibles aux côtés de chaque entrée.
— Je te présente le Foyer! dit Roussette avec entrain. C'est le siège de l'Ordre des Veilleurs.
— C'est... Impressionnant! Pourquoi c'est aussi grand? Y a beaucoup de visiteurs? Ou des fêtes, peut-être?
— Oui, parfois, mais c'est surtout parce que dans le Foyer, y a aussi les bureaux et l'internat.
— Les bureaux, je crois que je comprends. L'internat, c'est quoi? C'est comme dans une école?
— Exactement! Les recrues de l'Ordre sont formées ici. On a une bibliothèque, des salles de cours et d'entraînement, des dortoirs, un réfectoire et même un jardin... C'est plutôt cool, mais la formation est tellement loooongue !!
— T'es restée longtemps?
— Oui! Douze mois en tout, tu te rends compte? J'avais tellement hâte de partir!
— Bah, c'est pas si long, une année. J'ai fait plusieurs années d'étude pour avoir mon diplôme.
Roussette ouvrit de grands yeux:
— Plusieurs années? Mais je serais morte si j'avais dû étudier aussi longtemps!
— Après... je rentrais chez moi tous les soirs, ça fait pas pareil, j'imagine. Et c'est plutôt fréquent, tu sais, des études sur plusieurs années... Moi, ça m'avait bien plu. J'ai appris plein de techniques différentes auprès de plusieurs maîtres artisans, et ça, c'était génial.
— Eh beh, vous devez pas rigoler tous les jours sur Terre... Allez viens, ne faisons pas attendre Iskarine plus longtemps, ou elle va encore me passer un savon!
Munie de son téléphone - elle semblait tout faire avec, songea Gabriel - Roussette déverrouilla la porte de droite, celle qui était un peu plus petite que les autres. Ils pénétrèrent dans un couloir clair, au sol et aux murs grisâtres et sans fioritures.
— C'est l'entrée de service. La grande porte ne sert qu'aux occasions, comme les fêtes ou les visites protocolaires. A gauche, tu vas vers le grand salon et encore plus loin, ce sont les bureaux. Nous, on va tout droit: en passant par l'internat, c'est plus rapide pour aller jusqu'à la Salle du Conseil.
Ils n'avaient pas parcouru la moitié du couloir que Pahui apparut au bout de celui-ci. Il avançait d'un pas rigide et mesuré, les mains derrière le dos.
Roussette se crispa en le voyant:
— Messire Pahui.
— Roussette. J'ai eu la notification de ton entrée et j'ai voulu te souhaiter la bienvenue. J'imagine qu'il s'agit de Sieur Antelhor?
Sieur Antelhor? Gabriel faillit se retourner pour voir de qui il parlait avant de réaliser qu'il s'agissait de lui! A voir la tête de Roussette, elle était presque aussi surprise que lui, même s'il percevait aussi chez elle une bonne dose d'énervement. Qu'est-ce que ça voulait dire?
— Oui, messire, répondit sèchement Roussette. Vous auriez pu lui demander, il sait parler.
— Toujours aussi incisive, à ce que je vois. Mais tu as raison, je manque de la plus élémentaire des politesses.
Raide comme un piquet, avec un regard perçant, il s'inclina vers Gabriel:
— Sieur Antelhor, qu'en ce lieu où veillent les Lanternes, votre présence soit bercée de sérénité.
— M... Merci...
— Suivez-moi.
Ce furent un Gabriel tout retourné et une Roussette agacée qui emboîtèrent le pas à Pahui qui progressait sans bruit dans le couloir.
Le jeune homme se pencha et murmura Ă sa compagne:
— Il est toujours comme ça, façon glaçon?
— Non, souffla-t-elle avec irritation. C'est surtout avec moi. Il n'est jamais content de ce que je fais. En plus, j'ai pas de chance, parce que c'est mon supérieur. C'est le Portier, responsable des Huissiers.
— Il nous emmène voir la dame, c'est ça?
— Dame Iskarine, oui. C'est la Magistrate, la cheffe du Conseil, auquel il appartient aussi.
Sur leur trajet, ils croisèrent plusieurs recrues pressées se rendant en cours. Elles ralentirent leur course en croisant Pahui, s'inclinant devant lui avec déférence. Roussette les salua amicalement: Gabriel supposa qu'ils avaient étudié ensemble. Il se rendait compte qu'elle était vraiment très à l'aise dans ce milieu et semblait connaître tout le monde.
Une portion du couloir donnait vue et accès sur des jardins à la végétation luxuriante, où plusieurs Veilleurs profitaient des îlots de fraîcheur sous les frondaisons.
Un jeune garçon surgit à toute allure d'une porte ouverte et télescopa violemment Pahui avant de se retrouver les fesses au sol.
Roussette s'exclama:
— Laoyang!
Affalé sur le sol, celui-ci leva la tête, penaud, avant de sourire de toutes ses dents. Il bondit sur ses pieds comme un diable de sa boîte et se jeta sur Roussette pour l'enlacer avec force.
— Roussette, tu es revenue!
— Laoyang, calme-toi.
Elle ébouriffa ses cheveux noirs, attentive à ne pas toucher ses petites cornes grises.
— Qu'est-ce que tu fais ici, toi? Tu n'es pas encore une recrue, et je ne suis pas là , donc...?
Laoyang remua la tête avec défi:
— Il a bien fallu que je me fasse de nouveaux amis, puisque tu m'as abandonné! J'étais venu voir Cyprien, pour aller avec lui au marché. Mais il doit suivre son entraînement... Depuis que tu n'est plus là , je m'ennuie tellement!
S'apercevant de la présence d'un inconnu à côté de Roussette, Laoyang fit une grimace de répulsion tout à fait éloquente.
— Voyons, qu'est-ce que c'est que cette tête? Je te présente Gabriel. On va voir le Conseil.
Gabriel vit de la peur s'installer dans les yeux sombres de l'enfant. De quoi avait-il peur? Fallait-il craindre le Conseil? Ce n'était pas ce qu'il avait imaginé, quand Roussette l'avait convaincu de la suivre jusqu'ici. La réaction de ce gamin le perturbait. La suite lui apporta bien des réponses, même à des questions qu'il ne s'était pas posées.
— Tu vas encore te faire punir?
Pahui s'immisça dans la conversation tel un couteau tranchant:
— Non, pas cette fois. Laoyang, combien de fois t'ai-je répété de ne pas traîner ici quand il y a encore des cours? Rentre chez toi. Les recrues ne peuvent se permettre de s'amuser sans arrêt; tu le comprendras bien assez quand tu en feras partie.
Le visage du garçon s'illumina:
— Alors, ça veut dire que vous voulez bien que je devienne Veilleur?
— Il n'a jamais été question du contraire, mais tu n'as pas l'âge de passer l'admission. File, je ne veux plus te voir ici.
Laoyang ne s'attarda pas plus, gambadant vers les jardins.
Pahui lissa son kimono de gestes vifs et précis. Ce faisant, il secouait la tête en marmonnant entre ses dents. Roussette le remercia:
— Pahui, c'était gentil de ne pas l'avoir grondé. Tu sais bien que c'est son vœux le plus cher de devenir Veilleur et c'est pour ça qu'il vient sans arrêt.
L'homme soupira, et un éclair de douceur traversa son regard - si furtif que Gabriel ne fut pas certain de l'avoir vu:
— Ce qui me désole, c'est qu'il te ressemble bien trop et que je vois déjà les ennuis arriver. Même si, contrairement à toi, je n'en suis pas responsable.
Devant l'air déconfit de Gabriel, Pahui s'expliqua:
— Je vois. Elle a dû omettre de vous en parler, j'imagine. Accessoirement, je suis également le tuteur de Roussette.
Gabriel tourna brusquement la tête vers sa compagne. Penaude, frottant ses mains l'une contre l'autre, les yeux baissés vers le sol, elle acquiesça dans un filet de voix:
— Mhmm... Tu sais...? Quand je te disais que c'était compliqué, entre lui et moi? Ben... voilà : c'est Pahui qui m'a élevée. Je ne connais pas mes parents.
Ne la côtoyant finalement que depuis quelques heures, Gabriel ressentit néanmoins une profonde tristesse pour Roussette. C'était horrible de ne pas connaître ses parents. Il aurait souhaité la consoler, mais ne trouvait pas les mots...
Pahui grogna:
— Compliqué, hein? C'est un bien faible mot pour toutes les péripéties desquelles j'ai dû t'extirper! Sans compter ton impertinence en classe! Mais passons, ce n'est pas le sujet.
Réajustant son expression à son niveau de neutralité la plus froide, il reprit sa marche régulière.
Gabriel ne le suivit pas immédiatement. Il regarda Roussette:
— Je suis désolé, pour tes parents. C'est vraiment pas cool. Je... Arf, je sais pas quoi dire d'autre: je suis pas doué pour ce type de situation. Désolé.
La jeune fille le regarda droit dans les yeux, un fin sourire sur les lèvres:
— Merci infiniment, Gabriel. Je peux pas dire qu'ils me manquent, j'ai jamais su ce que c'était d'en avoir. Et... Malgré tout, Pahui s'est bien occupé de moi, j'ai jamais été malheureuse. T'inquiètes pas, tout va bien. Allez, viens, on y va.
Elle saisit la main de Gabriel dans la sienne et, ensemble, ils rattrapèrent le Portier alors qu'il s'engageait dans un nouveau couloir.
Le sol de celui-ci était recouvert d'un moelleux tapis doré. Les cadres sur les murs renfermaient principalement des scènes de vie urbaine ou champêtre, ainsi que quelques portraits. Roussette dut tirer Gabriel par le bras à plusieurs reprises. Il s'était arrêté régulièrement devant les illustrations, surpris et émerveillé de leur diversité. Tout ce qui l'entourait aux Lanternes, du plus simple au plus grandiose, ne cessait de l'émerveiller.
Pahui s'arrêta devant une double porte ouvragée dont il écarta entièrement les deux battants avant de s'effacer pour laisser passer les deux jeunes gens.
Roussette avança avec aplomb, suivie d'un Gabriel hésitant mais déterminé. Voilà , ils se trouvaient au cœur des Lanternes, dans la Salle du Conseil.

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