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NEMEMSYS

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Asphyxie.

De l’air !

L’air lui manque, il le cherche, ne le trouve pas.

Il s’agite, se dĂ©bat, ses bras repoussent la masse sombre qui l’étouffe, ils parviennent Ă  dĂ©gager ce qu’il faut.

L’air !

L'air vient à nouveau, s’engouffre en lui grandement. Il peut respirer ! Il respire !

L’odeur l’assaille, son estomac se soulùve.

Panique.

Il lutte, s’efforce de se libĂ©rer. Son corps roule, s’échappe plus encore, rampe hors du tas d’immondices qui le recouvre.

Le soulagement est de courte durée. Tout est confus. Et cette douleur qui lui transperce les tempes. Il gémit.

Au loin, du mouvement, des gens, du bruit. Les sons lui paraissent lointains, ils Ă©mergents difficilement du sifflement constant qui l’accompagne.

Il parvient Ă  se lever, prenant appui sur le mur face Ă  lui. Sa respiration est pantelante. Il titube en direction de cette rue pleine de vie. La cohue qui l’accueille le fait trĂ©bucher. Sa tĂȘte heurte le sol. SonnĂ©, il ne remarque pas les passants l’enjamber sans aucune considĂ©ration.

Un effort laborieux le met debout.

Stupeur.

Le flot continue tout autour. Lui ne voit qu’une seule chose. Le reflet d’un homme dĂ©peint par la vitrine d’une boutique.

Lentement, il se rapproche et pose une main tremblante sur la surface vitrĂ©e tandis que l’autre effleure un visage qui ne peut ĂȘtre que le sien.

...

La portiĂšre s’ouvrit sur le parvis d’un hĂŽtel de luxe.  

- Nous voilĂ  arrivĂ©s Mademoiselle HĂ©lĂšne.  

Une premiĂšre chaussure Ă  talon sortit de la limousine bientĂŽt suivie de sa jumelle. L’aide proposĂ©e par le chauffeur fut acceptĂ©e et une main gantĂ©e de blanc attrapa une seconde.  

- Merci Paolo, le gratifia-t-elle d'une voie douce.   

Ses yeux parcoururent la façade rutilante qui lui faisait face pour revenir sur le chauffeur. Ce dernier la gratifia d’un sourire.   

- Vous venez me chercher tout Ă  l’heure ? demanda-t-elle timidement.  

- Bien entendu Mademoiselle, mes ordres sont de vous assister toute la soirĂ©e.  

- Merci bien Paolo, gloussa-t-elle. Je suis gĂątĂ©e. Je vous contacte dĂšs que j'ai terminĂ© alors.    

L’assurance avec laquelle elle s’avança en direction du palace charma plus d’un passant. Dans le hall, l’homme Ă  l’accueil rĂ©pondit d’un signe de tĂȘte au salut qu’elle lui fit et c’est sans aucune hĂ©sitation qu’elle se dirigea vers les ascenseurs.

La cabine s’ouvrit puis se referma derriùre elle.

« Etage, je vous prie ? ».  

- Le dernier, merci. 

« C'est un privilĂšge. » 

C’est Ă  peine si elle sentit l’ascenseur dĂ©marrer. Le miroir lui permit de dĂ©tailler ce corps bien apprĂȘtĂ©. Sa courte robe laissait nue la majoritĂ© d’une paire de longues jambes. Elle pinça les lĂšvres et la rĂ©ajusta. « Hum, c’est mieux ».

L’ouverture de la porte d’ascenseur la surprit en train d’examiner son maquillage. AprĂšs un clin d’Ɠil Ă  son reflet, elle s’engagea dans le couloir richement dĂ©corĂ©, sifflotant un air enjouĂ©, sautillant presque jusqu’à la porte d’une des chambres.

Trois petits coups y furent donnĂ©s et la voilĂ  s’ouvrir sur un homme ĂągĂ© au charme incontestable. 

- Petit chou ! s'exclama-t-elle en lui sautant dans les bras. Je t’ai manquĂ© ? 

La soulevant, il l’emporta dans la chambre aprĂšs avoir refermĂ© la porte du pied.   

- Tu vas voir si tu m’as manquĂ© ! rĂ©pondit-il en riant.

Il la dĂ©posa sur le lit. Elle roula, ria. Lui se dĂ©vĂȘtit et...

« Pause ». Tout se fige. La chemise jetée est suspendue au milieu de la piÚce. Elle, son rire bloqué dans la gorge.

« Retour ». La chemise rejoint la main de l’homme et reprend place sur ses Ă©paules.

« Retour rapide ». La vision devient un enchainement d’images confondues.

« Lecture ». Le temps reprend son cours normal. Une premiĂšre chaussure Ă  talon s’extrait de la limousine bientĂŽt suivie de sa jumelle.

« Marqueur placé ; heure :19:45 ».

« Avance rapide ». Retour à la chambre, en plein ébats cette fois-ci.

« Avance rapide ». L’extĂ©rieur de l’hĂŽtel, elle s’avance en direction de la limousine qui se pose lentement au bout du parvis.

« Marqueur placé ; heure : 21:18 ».

« Confirmation de la sauvegarde ? ».

« Sauvegarde validée ».

Je retire les lunettes et reviens à la réalité.

La chambre est plongĂ©e dans un silence que seuls les bruits de la rue viennent troubler et le peu de lumiĂšre qu’offre l’éclairage extĂ©rieur n’est pas perturbant.

La prostituĂ©e, HĂ©lĂšne, est allongĂ©e face Ă  moi. L’innocence de son visage endormi me touche tellement que j’ai presque honte de lui faire ça. Mais bon, les affaires sont les affaires.

Bien qu’elle ne puisse pas encore se rĂ©veiller, c’est avec dĂ©licatesse que je lui retire le casque de lecture qu’elle porte. Elle remue lĂ©gĂšrement puis bafouille quelques mots avant de continuer ce sommeil forcĂ©.

Je dĂ©connecte le memsys du lecteur pour le fourrer dans la poche intĂ©rieure de ma veste, bien au chaud, Ă  l’abri.

Le reste du matériel, casque et lunettes, rangé dans une mallette.

Le travail terminĂ©, je m’attarde quelques secondes devant la femme allongĂ©e sur le lit. Son visage est d’une beautĂ© presque angĂ©lique. C’est triste quand mĂȘme, tout ce gĂąchis.

Je lui murmure un merci avant m’assurer qu’elle ne souffrirait pas du froid pendant son sommeil puis je quitte la chambre sans plus tarder.

L’extĂ©rieur m’accueille froidement.

Il y a une chose que je ne comprends pas. Lorsqu’on est capable de contrĂŽler la mĂ©tĂ©o, pourquoi s’obstiner Ă  recrĂ©er l’hiver ?

Grognant, je resserre les pans de mon manteau et avance sur la coursive qui mÚne dans la rue, deux étages plus bas.

La circulation est rare en cette heure tardive et seule une voiture flotte silencieusement Ă  une vitesse qui Ă©veille mon attention. Je continue ma descente, gardant un Ɠil sur elle.

L’accueil de la maison de passe, toujours Ă©clairĂ©, se trouve plus loin sur ma gauche. C’est dans la direction opposĂ©e que je me dirige d’un pas rapide. La voiture, quant Ă  elle, disparait au coin de la rue emportant avec elle la mĂ©fiance qu’elle a Ă©veillĂ©e en moi.

MalgrĂ© tout, je ne ralentis le pas que quelques rues plus loin et prends le temps d’établir une communication.

- Ne serait-ce pas mon Nememsys préféré ?

Sa voix, légÚrement rauque, me fait sourire malgré moi.

- Le travail est fait.

- Ah ouais ?

- Oui.

- Mais c’est bien ça !

J’entends Ă  sa voix qu’il se rĂ©jouit de l’argent que l’on va gagner.

- Et quand est-ce que tu me livres ?

- C’est tout frais. Le temps de rentrer.

- D’accord. A trùs vite alors. Et bon retour !

...

Ferguson s’appuie contre le dossier de sa chaise. La roulĂ©e qu’il tient en main est prĂ©sentĂ©e Ă  la flamme d’un briquet antique. Il crapote deux, trois fois, l’extrĂ©mitĂ© rougit, libĂ©rant une fumĂ©e blanchĂątre qui envahit rapidement l’espace qui nous sĂ©pare.

- J'aime travailler avec toi, m’annonce-t-il en joie.

Entre nous, le memsys, posĂ© Ă  mĂȘme un tas de papiers Ă©parpillĂ© sur son bureau.

- Je suis ravi de l’entendre, je rĂ©ponds, neutre.

Ferguson recrache une nouvelle bouffée de fumée.

- Je suis sĂ©rieux quand je dis ça. T’es bon dans les affaires. T’es rĂ©glo. Pas comme ces gars des ghettos. Et en plus t’es efficace. Je t’ai passĂ© le contrat il y a quoi, quatre jours ?

- Trois.

- Ah ! Tu vois, c’est ce que je dis. Il cale la roulĂ©e dans sa bouche. Alors ? Raconte ! Comment ça s’est passĂ© ?

- Sans accrocs.

Il me dĂ©visage, un sourcil plus haut que l’autre.

- T’as jamais Ă©tĂ© bavard toi, hein ?

Non. Et pour cause, le commerce auquel je m’adonne est interdit par les autoritĂ©s. Alors si elles mettent la main sur moi, je risque de passer une longue pĂ©riode en cellule Ă©nergĂ©tique, le collier au cou, Ă  n’avoir que les secondes Ă  compter pour passer le temps.

Et ça, c’est si on ne m’élimine pas avant. Car braquer la mĂ©moire a tendance Ă  en Ă©nerver plus d’un. Et les reprĂ©sailles dans le milieu oĂč j’exerce sont assez courantes et, bien souvent, la cause d’une fin de carriĂšre prĂ©cipitĂ©e... Brutale... Mortelle.

Garder l’anonymat est donc une nĂ©cessitĂ© et soyons rĂ©alistes, je suis assez douĂ© pour ça. Pour preuve, je suis encore en vie. Alors cĂŽtĂ©s dĂ©tails, il va falloir qu’il comprenne mon avarice.

- Je n’ai rien eu Ă  faire, rĂ©pondis-je aprĂšs un soupir rĂ©signĂ©. C’était une escort-girl de luxe. Il m’a suffi Ă  faire appel Ă  ses services.

Ferguson a un rire gras, ses yeux pétillent.

- Des détails !

Je le regarde, hausse un sourcil.

- Elle avait un visage d’ange.

Il s’appuie contre le dossier de sa chaise, secouant la tĂȘte.

- Un visage d’ange, c’est tout ! T’en as profitĂ© un peu, dis-moi !

- OĂč est ma paye, je rĂ©ponds l’Ɠil morne.

- Ok, ok. C’est bon. J’arrĂȘte. Mais tu vas trop vite lĂ . Je n’ai pas encore vĂ©rifiĂ© la marchandise.

- Ta cliente sera contente d’apprendre qu’elle avait raison, crois-moi ! J'attrape le memsys et le lùve à hauteur de ses yeux. L’argent !

Ferguson rit à nouveau, tirant sur sa roulée.

- Ouais, j’aime travailler avec toi. T’es rĂ©glo.

- Ce n’est pas ton cas, crois-moi !

- Ouais, ouais, ouais. C’est qu’un dĂ©tail, se dĂ©fend-t-il en balayant l’air d’un geste de la main. Pour l’argent, il y a un couac. Je t’explique. Ma cliente ne me payera pas avant de recevoir ce qu’elle a demandĂ©. Donc si tu jugeotes un peu, tu comprends que j’ai pas ton argent. Et puis les affaires, c’est pas trop ça ces temps-ci, je peux pas t’avancer.

Je reste lĂ , Ă  le fixer longuement.

- Hey ! Oh ! C’est bon. C’est pas ma faute, continue-t-il, tu sais trĂšs bien que je vais pas te la faire Ă  l’envers. C’est une question de quelques jours, pas plus. J’serais payĂ© t’inquiĂšte pas. Elle a intĂ©rĂȘt de toute façon. Tu me connais.

Quelques secondes passent avant que je n’hoche de la tĂȘte, jetant le memsys sur la table. Il glisse jusqu’à Ferguson qui l’attrape.

- Te fous pas de moi. Toi aussi tu me connais.

Le gros homme rit fortement, faisant craquer sa chaise.

- Oh ça oui ! J’aime travailler avec toi.

...

Ça fait quelques jours que le memsys a Ă©tĂ© livrĂ© et comme Ă  chaque fois entre les contrats j'aime ne rien faire... lorsque je m’y autorise.

Sur l’instant je suis occupĂ© Ă  modifier mon lecteur de mĂ©moire dans le but d’y ajouter une plus grande capacitĂ© de stockage. L’actuelle est dĂ©jĂ  importante, davantage sera plus pratique et me facilitera le travail.

La mĂ©moire humaine demande beaucoup de donnĂ©es pour ĂȘtre sauvegardĂ©e. Les lecteurs portatifs, comme le mien, sont capables d’enregistrer quelques dizaines de minutes, pour n’avoir que l’image et le son.

Bien sĂ»r, il existe des modĂšles plus pointus capables de stocker, en plus du reste, les odeurs, les sensations physiques et mĂȘme les pensĂ©es. Mais toutes ces donnĂ©es demandent un nombre important de terminaux, capables de remplir toute une salle entiĂšre, et pas une petite. Je n’en ai jamais utilisĂ© des comme ça. Ils sont trop difficiles Ă  se procurer, trop cher et trop encombrant. Et puis pour mon type d’activitĂ©, l’image et le son, c’est suffisant. Cependant, je ne cracherai pas sur quelques minutes en plus pour mes braquages.

Une micro-Ă©tincelle crĂ©pite lorsque je soude la derniĂšre patte du composant. Un mince filet de fumĂ©e s’élĂšve, aussitĂŽt dispersĂ© par le souffle de ma respiration. Je dĂ©sactive la vue grossissante de mes lunettes, le monde retrouve sa taille normale.

Parfait. Tout simplement parfait. C’est propre. C’est joli. Ça ne demande qu’à ĂȘtre testĂ©.

Je me lĂšve et me rapproche du lecteur de mĂ©moire pour y connecter le memsys. Le casque s’éclaire aussitĂŽt lorsque je le mets sous tension. Point positif, il dĂ©marre, ce qui signifie que les soudures sont bien rĂ©alisĂ©es. Mon talent me surprendra toujours.

Je connecte mes lunettes au casque, plusieurs menus apparaissent. Je navigue Ă  la recherche des paramĂštres de configuration. Aucune anomalie n’est Ă  dĂ©plorer. La connexion est bien Ă©tablie. Un sourire se dessine sur mon visage. L’ancienne version me permettait de stocker un peu moins de 2h. Avec le rajout que j’ai fait, je passe Ă  plus de trois. Ce qui me permettra d’ĂȘtre moins regardant sur la durĂ©e de sauvegarde, je gagnerai du temps et, selon les circonstances, c’est non nĂ©gligeable.

J’éteins tout et entreprends de ranger quand une communication vient m’interrompre. C’est Ferguson.

- Ton appel concerne mon argent ? je lĂąche sans ambages.

- Et bonjour ! me salue le marchand de sa voix rauque. Il toussote. Pas tout Ă  fait.

Je m’assois, attrapant mon thĂ© pour en siroter une gorgĂ©e. Si Ferguson Ă©tait prĂ©sent, il verrait l’impatience marquer mon visage.

Devant mon silence, il continue :

- Pour le paiement, c’est toujours en cours. Elle...

- Je te coupe Ferguson. Aurais-je besoin de m’inquiĂ©ter ?

- Tu me connais, j’aurais mon argent et toi, le tien.

Je n’insiste pas. Le rapport de Ferguson Ă  l’argent est assez compliquĂ©, et s'il y a une chose avec laquelle il ne rigole pas, c’est bien celle-lĂ .

- La raison de ton appel alors ? je demande, irrité.

- Du travail. PayĂ© d’avance ! Et du pain bĂ©ni. Un petit coup tranquille. Il rit. Te suffit de te pointer, d’extraire la mĂ©moire du gars et de te casser. Pas besoin de te cacher derriĂšre ton bandana. L’homme est d’accord, tu vois. Si tu acceptes, je te mets en contact avec lui et vous fixez le RDV. C’est toi qui pilotes tout ! Du pain bĂ©ni j’te dis.

- C’est payĂ© combien ?

- Assez pour que tu te dĂ©places. Tu peux mĂȘme t’y faire conduire par un chauffeur si ça te chante. Franchement, tu crois que j’t’aurais appelĂ© pour rien.

Il rit, nerveux. Je ne réponds pas.

- Alors ?

- Je dois y réfléchir.

- Tu peux pas refuser, insiste Ferguson. Je t’envoie les dĂ©tails tout de suite. S’il te plait, ne tarde pas pour ta rĂ©ponse. Ils sont assez pressĂ©s, souligne-t-il en insistant sur le dernier mot.

Ferguson n’a pas encore terminĂ© sa phrase que je reçois ses infos.

- Je te tiens au courant, je conclue avant de couper la communication.

La note de Ferguson apparait devant moi lorsque je la consulte. Effectivement, il s’agit d’un travail facile et plutĂŽt bien payĂ© pour le coup.

Le demandeur en question veut sauvegarder un Ă©vĂšnement particulier. Ça arrive de temps Ă  autres pour immortaliser certains souvenirs et ainsi les revivre encore et encore. Les voies lĂ©gales permettent de faire ça, certaines entreprises proposent leur service en ce sens. Seulement certaines choses, moins avouables, demandent Ă  rester secrĂštes. C’est lĂ  que j’interviens. Un autre aspect de mon boulot.

Le dossier disparait lorsque je quitte la lecture.

Quelques instants plus tard, Ferguson reçoit un simple « OK ». Je ne crache jamais sur de l’argent facile.

...

Le rendez-vous a été fixé par mes soins, dans un lieu que je connais, à une heure qui me convient.

C’est comme ça que je fonctionne et c’est non-nĂ©gociable.

Généralement, je loue une chambre dans un motel quelconque. Chambre que je fais payer au client bien sûr.

Cette fois-ci, il s’agit du « NumĂ©ro 8 ». Un motel que je ne dirai pas miteux mais presque, situĂ© un peu Ă  l’écart de la ville. Son bĂątiment s’étale devant moi, une grosse boule de billard noire, tournant sur elle-mĂȘme, perchĂ©e sur la toiture.

L’accueil, indiquĂ© par un « motel » au nĂ©on rouge dont une des lettres clignote, ne laisse paraĂźtre aucun signe de vie. Connaissant le gĂ©rant, j’imagine qu’il doit ĂȘtre en train de regarder l’une de ces sĂ©ries Ă  l’eau de rose. Bob, c’est comme ça qu’il s’appelle. Un gars qui ne pose pas trop de questions sur ce qu’on fait dans ses chambres tant qu’elles sont rendues dans le mĂȘme Ă©tat qu’à notre arrivĂ©e. Et vu les critĂšres de propretĂ© de l’établissement, ce n’est pas bien difficile.

Au loin dans le ciel, ce qui n’était qu’un point noir, se transforme en une berline de luxe s’approchant du motel. Elle en fait le tour lentement avant de descendre vers le parking. Ses roues se dĂ©ploient et touchent le sol sans bruit. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que les portiĂšres s’ouvrent pour laisser sortir quatre hommes en costumes bien coupĂ©s. L’un d’eux, le plus costaud, Ă  la corpulence qui fait rĂ©flĂ©chir Ă  deux fois avant de tenter quelque chose contre lui, s’avance vers l’accueil, entourĂ© par les trois autres. Il disparait Ă  l’intĂ©rieur avec l’un de ses compĂšres tandis que les autres attendent Ă  l’extĂ©rieur dos face au mur, Ă  surveiller le dĂ©sert du parking.

La chambre 7 est dĂ©jĂ  rĂ©servĂ©e. C’est un chiffre qui me porte bonheur. Mon client est censĂ© la rĂ©gler et attendre patiemment mon arrivĂ©e.

Je ne laisse rien au hasard. Enfin, j’essaye.

Le grand costaud sort de l’accueil, suivi de son ombre. Les quatre prennent alors la direction de la chambre. La porte se referme, ils disparaissent de ma vue.

La montre indique 20h. J’ai une grosse demi-heure avant le rendez-vous.

« Un contrat facile ! » m'a dit Ferguson. On verra bien. Ces types ont tout l’air d'ĂȘtre de la mafia locale et avec eux, un rien peut partir en vrille. Il va falloir faire preuve de vigilance.

Je consulte Ă  nouveau l’heure, deux minutes seulement sont passĂ©es. Je soupire et sors de la voiture pour les rejoindre. Pourquoi attendre ? Plus vite j’aurais terminĂ©, plus vite je toucherais mon argent.

Je toque et me place sur le cĂŽtĂ©. Question sĂ©curitĂ©. La porte s’ouvre sur l’un des hommes de main. Un de la mĂȘme taille que moi, les cheveux plaquĂ©s en arriĂšre.

- Qu'est-ce que tu veux ? il demande, bourru.

DerriĂšre lui, les autres ont cessĂ© leur discussion, le regard tournĂ© vers moi. Une ligne de fumĂ©e s'Ă©lĂšve de la cigarette que le costaud tient en bouche. L’odeur m’agresse malgrĂ© la distance, encore un truc trafiquĂ©.

- Je viens voir Igor, j’annonce.

L’homme se retourne vers le costaud, le questionnant du regard.

- Euh, Ouais, ben rentre, répond celui-ci.

Je ne bouge pas, toujours en retrait sur le cÎté.

- Je ne travaille pas avec autant de monde autour. Si c’est pour votre mĂ©moire que je suis lĂ , nous serons seul, vous et moi (je prĂ©fĂšre insister, on ne sait jamais avec ces gars-lĂ ).

L’homme rit, rejoint de tous.

- C’est pas possible.

- On s’avance vers un problùme alors.

Le costaud consulte l’un des gars du regard, un à la moustache fine, qui acquiesce discrùtement.

- Ce que je te propose, c’est qu’il n’y en a qu’un qui reste. Les autres attendront dehors.

Je dĂ©taille l’assemblĂ©e. Tous attendent ma rĂ©ponse. Le costaud tire nerveusement sur sa roulĂ©e, les autres restent impassibles.

Ce n’est pas ma façon de faire. En acceptant, je dĂ©roge Ă  mes rĂšgles. Disons que l’argent l’emporte sur la raison. J’attends que deux des hommes quittent la chambre avant de rentrer. Le gars qui reste avec nous, celui Ă  la fine moustache, referme la porte derriĂšre moi.

- Verrouille, j’ordonne.

Il me regarde, l’interrogation dessinant ses traits.

- L’extraction de mĂ©moire est assez dĂ©licate, je mens. Je ne veux pas prendre le risque d’ĂȘtre dĂ©rangĂ©.

AprÚs un certain temps, Fine moustache hausse les épaules et obéit.

- Installe toi Nememsys, me propose alors le costaud.

Je tique.

Devant mon immobilitĂ© et le silence qui l’accompagne, il continue :

- C’est moi Igor, et à ce qu’on m’a dit, t’es capable de
 de prendre les souvenirs.

Il cherche ses mots et avec sa façon de parler, il me donne l’impression d’ĂȘtre assez lent dans sa tĂȘte.

- C’est exact.

Il sourit.

- Ben j’aimerai que tu prennes un souvenir pour moi.

- Pourquoi ne pas passer par une entreprise légale ?

- Ben parce que ce qu’il y a lĂ -dedans (il se montre la tĂȘte du doigt) c’est pas lĂ©gal, il dit en gloussant.

J’acquiesce et dĂ©pose ma valise sur un bureau ridicule surmontĂ© d’un miroir. L’autre homme s’est assis entre temps, confortablement affalĂ©, les jambes croisĂ©es, les mains sur le ventre. Son reflet dans la glace qui me fait face affiche la crosse d’une arme pointant le bout de son nez derriĂšre le pan de sa veste.

Imperturbable, j’ouvre ma mallette dĂ©voilant tout le matĂ©riel.

- Alors c’est avec ça que tu vas copier mon souvenir ? me demande Igor qui s’était approchĂ©.

- Oui, je me contente de répondre.

J’ai l’impression d’ĂȘtre face Ă  un enfant de 5 ans. Je sors le casque, soupire.

- Cette partie-lĂ  va aller sur votre crĂąne, j’explique lĂ©gĂšrement condescendant. Puis je lirai en vous avec ces lunettes. Elles me permettront de voir tous vos souvenirs, mĂȘme ceux que vous avez oubliĂ©. En quelque sorte, j’aurai accĂšs au film de votre vie.

Tout en parlant, je branche capteurs et casque ensemble.

- Maintenant, parlez-moi du souvenir que vous voulez que je sauvegarde.

Igor hĂ©site, cherchant du regard Fine moustache. Ce dernier le presse d’un signe de main.

- C’est que...

- N’ayez pas peur d’en parler, je l’encourage. De toute façon je vais le voir de mes propres yeux.

- Euh...

- D’accord. On va procĂ©der d’une autre maniĂšre alors. Donnez-moi une date et une heure Ă  peu prĂšs.

- Euh... Il y a trois jours, vers 19h.

- Trois jours, d’accord. Ce qui nous fait mardi. Bien.

Je finis de paramétrer les lunettes, vérifie la connexion avec le lecteur.

- Il va falloir que vous vous allongiez maintenant. L’extraction nĂ©cessite que vous dormiez.

- Comment ça ? s'agace Igor.

- C’est mieux pour vous et pour moi, je mens encore. Le fait que vous soyez Ă©veillĂ© peut bloquer l’accĂšs aux souvenirs.

Igor, mal à l’aise, regarde à nouveau l’homme assis qui acquiesce du menton.

- Bon d’accord, abdique-t-il en se dirigeant vers le lit.

- TrÚs bien. Allongez-vous confortablement, et avalez ça. Vous allez dormir trÚs vite.

Igor s’exĂ©cute puis je lui enfile le casque. Il s’endort avant que je termine. Ce somnifĂšre est d’une efficacitĂ© qui m’étonne Ă  chaque fois.

Une fois fait, je passe mes lunettes. L’interface apparait. J'effectue encore quelques rĂ©glages, qualitĂ© d’image, profondeur de vision, puis entre dans la vie passĂ©e de mon hĂŽte.

Tout disparait autour de moi, le noir total, le point zéro.

« Recul ponctuel ». Mon visage apparait. Nous sommes dans la chambre du motel. Je me vois expliquer le fonctionnement du casque.

« Pause ». L’image se stoppe.

Je navigue dans les menus pour y lancer une recherche. Pas la date qu’Igor m’a donnĂ©, non, je demande une correspondance avec moi. J’y associe mon visage et me cantonne aux deux derniers jours. Son histoire de souvenir, je suis persuadĂ© que c’est bidon. Il m’a appelĂ© Nememsys, et ça, il n’est pas censĂ© le faire. Seul Ferguson me surnomme comme ça Ă  dĂ©faut de connaitre mon nom, pour les autres j’utilise des pseudos diffĂ©rents. Ces gars sont lĂ  pour autre chose que ce qu’ils prĂ©tendent et je compte bien le dĂ©couvrir.

« Recherche lancĂ©e ». Les images dĂ©filent Ă  grande vitesse. Je ferme les yeux. Ça me donne la nausĂ©e Ă  chaque fois. De temps Ă  autre j’en ouvre un pour vĂ©rifier l’avancement de la recherche.

« Correspondance trouvĂ©e ». L’image se stoppe.

« Lecture ». Ils sont plusieurs dans ce qui pourrait ĂȘtre une salle de repos. Une table, un coin cuisine, une machine Ă  cafĂ©. La fenĂȘtre laisse passer une lumiĂšre Ă©clatante ne permettant pas de distinguer l’extĂ©rieur. Quelques oiseaux chantent. Je reconnais les hommes qui m’ont accueilli au motel. L’un d’eux, Fine moustache, prend la parole.

- Le patron a pu avoir des infos sur notre gars.

- Qui ça ? Le Nememsys ?

- Oui.

L’homme sort un diffuseur qu’il fait glisser sur la table.

- On a sa tronche, ajoute-t-il en l’allumant.

Une silhouette apparait, d’abord floue, l’image se stabilise rapidement pour devenir nette. La tĂȘte qui flotte au-dessus de la table n’est autre que la mienne.

- Il a pas l’air bien mĂ©chant, remarque Igor. Ça va ĂȘtre facile de s’en dĂ©barrasser.

« Pause ». Au moins je suis fixé, ces hommes sont là pour moi.

Je coupe le visionnage sans retirer les lunettes. La réalité de la chambre apparait.

Igor dort toujours. L’autre s’est levĂ© entre temps. Son arme en main, il visse le silencieux sur le canon, m’observant d’une façon qui indique clairement le plaisir qu’il va prendre Ă  me loger une balle dans la tĂȘte.

Je reste immobile, feignant d’ĂȘtre toujours dans la mĂ©moire de son pote. Il se rapproche et vise mon front.

C’est Ă  ce moment-lĂ  que je dĂ©tourne son bras. Le coup part, transperçant la porte d’entrĂ©e. D’un tour de main, je le dĂ©sarme. Le flingue tombe au sol, je le repousse d’un coup de pied. Mon poing atteint son estomac, puis l’autre sa gorge. Ça le laisse Ă  terre, cherchant un air qu’il ne trouve pas.

Au-dehors les deux autres essayent de rentrer. Je marche vers ma valise pour en sortir une charge explosive que je lance Ă  cĂŽtĂ© de la porte lorsque celle-ci s’ouvre. Elle tombe Ă  leur pied et roule Ă  l’extĂ©rieur. A l’abri dans la salle de bain, le souffle de l’explosion n’est pour moi qu’une lĂ©gĂšre caresse chaude. Je ne peux pas en dire autant pour les deux autres.

Je sors de ma planque. Une fumĂ©e Ă©paisse a envahi tout l’espace tandis qu’un feu vorace dĂ©vore les murs. Le systĂšme anti-incendie s’est dĂ©clenchĂ©, de l’eau commence Ă  s’accumuler au sol. Plus personne ne bouge dans la piĂšce. L’un des hommes, celui que j’ai mis Ă  terre, gĂ©mit. Les trois restants, silencieux.

Je rĂ©cupĂšre ce que je peux avant de quitter les lieux, leur laissant le soin d’expliquer Ă  Bob pourquoi sa chambre est dans un sale Ă©tat.

...

Ce n’est que la fin de l’aprĂšs-midi, malgrĂ© tout la nuit est prĂ©sente depuis un bout de temps dĂ©jĂ .

La boutique de Ferguson est la seule éteinte. Seule son enseigne néon brille au-dessus de la vitrine.

Dire que quelque chose cloche n’est pas nĂ©cessaire. L’évidence est lĂ . Le nĂ©gociant n’est pas du genre Ă  fermer tĂŽt, ni mĂȘme Ă  fermer du tout.

Je frissonne. Pas de peur, non, du froid qui m’entoure. J'ai le souffle qui prend consistance Ă  chacune de mes respirations. SĂ©rieux, quelle idĂ©e de faire une mĂ©tĂ©o comme ça. Cette nostalgie de la planĂšte mĂšre, il y a un moment oĂč la page, il faut la tourner.

Toujours postĂ© de l’autre cĂŽtĂ© de la rue, je tente Ă  nouveau une communication avec Ferguson. Sans succĂšs. Ça sonne, ça sonne. Aucune rĂ©ponse. Je ne suis mĂȘme pas mis en attente, ni envoyĂ© sur le rĂ©pondeur. Ce qui signifie deux choses : soit on lui a extrait son CP, soit il est inconscient, ou mort. Dans tous les cas Ferguson est sĂ»rement dans de beaux draps, en espĂ©rant qu’ils ne soient pas mortuaires.

Remontant le col de ma veste, je me rapproche de la boutique Ă  travers une rue quasiment vide. Sur le pas de la porte vitrĂ©e, seules les formes sombres des rayonnages m’apparaissent. Une clochette tinte lorsque j’entre.

Silence.

« Ferguson ! ».

Pas de réponse.

Je referme la porte et retourne la pancarte annonçant « FermĂ©e » Ă  travers la vitrine. DerriĂšre le comptoir des interrupteurs me permettent d'allumer la piĂšce. Une lumiĂšre jaunĂątre peine Ă  Ă©clairer si bien que certaines allĂ©es restent dans l’obscuritĂ©. Son magasin se trouve dans le mĂȘme Ă©tat que je l’ai laissĂ© il y a quelques jours, poussiĂ©reux Ă  en Ă©ternuer.

J’avance vers l’arriĂšre-boutique. Tout un tas d’objet inutiles sont stockĂ©s ici. La porte du fond, celle qui mĂšne au bureau de Ferguson est entrouverte. Dans le noir, comme l’était le reste.

« Ferguson ! », je lance à nouveau, connaissant déjà la réponse.

Je m’approche lentement et pousse le battant.

Le gros homme git dans une flaque de sang, tout proche d’une chaise disposĂ©e au milieu de la piĂšce. Son bureau, jadis recouvert de toute une paperasse, renversĂ© dans un coin.

Sur le mur du fond, un coffre mural, ouvert. Le tableau qui le cachait, d’un goĂ»t discutable, brisĂ© au sol. Plusieurs memsys remplissent l’espace intĂ©rieur. Tous dĂ©truits. Quelques-uns se trouvent au sol, sĂ»rement Ă©crasĂ©s du talon, vu l’état.

L’assurance vie de Ferguson : dĂ©truite. La raison de tout ce bordel se trouvait dans ce coffre.

Je m’attarde sur mon ancien associĂ©. Sa queue de cheval a Ă©tĂ© coupĂ©e, ses cheveux sont Ă©parpillĂ©s au sol. Il est mal en point le pauvre. Son visage est boursoufflĂ©, son torse lacĂ©rĂ©. Les mecs qui ont fait ça n’y sont pas allĂ©s de main morte.

Sa main tient quelque chose, c’est un stylo. Je cherche une trace Ă©crite, rien, ni sur lui, ni au sol.

« Qu’est-ce-que-tu as essayĂ© de faire ? », je questionne tout haut. J’avoue, le fait d’entendre une voix me rassure un peu.

Il y a quelque chose qui n’allait pas. Ferguson dictait ou tapait au clavier. En aucun cas, il Ă©crivait. Il ne savait pas. TrĂšs peu de gens le savaient d’ailleurs, les nouvelles technologies avaient changĂ© la donne il y a bien longtemps.

J’ai du mal Ă  retirer l’objet de sa main. Un premier examen ne me rĂ©vĂšle rien de particulier. Ça m’a l’air d’un simple stylo.

J'enlĂšve le bouchon, tente d’écrire quelque chose. Pas d’encre. Si son intention Ă©tait de laisser un dernier message avant de clampser, c’est pas de bol. A moins que...

Je manipule un peu le stylo et parviens Ă  dĂ©visser les deux parties qui le composent. L’une d’elles contient une clef de stockage d’un format trĂšs peu utilisĂ© de nos jours. Par chance, la boutique de Ferguson est remplie d’objets peu utilisĂ©s de nos jours. Je n’ai aucun mal Ă  trouver un ordinateur permettant de la connecter, l’un de ceux avec un Ă©cran cubique. Un dinosaure d’une autre Ă©poque.

La clef contient un fichier audio. Le stylo est donc un enregistreur vocal d’une trĂšs ancienne gĂ©nĂ©ration. Ça ne m’étonne pas, Ferguson Ă©tait passionnĂ© par ce type d’objet, et surtout par le prix qu’il pouvait en tirer.

Je lance l’enregistrement qui dĂ©bute sur une conversation en cours entre Ferguson et d’autres types. Je reconnais le lent parler d’Igor. Les gars sont Ă  la recherche d’un memsys. Je souris lorsque Ferguson les envoie se faire voir. Ses interlocuteurs perdent patience. Un bruit de lutte s’ensuit. J’imagine qu’il est attachĂ© Ă  la chaise car la torture dĂ©bute peu aprĂšs. Je baisse le volume, les cris sont forts, ça grĂ©sille, c’est dĂ©sagrĂ©able.

Les questions portent toujours sur le memsys. Le supplice dure. Enfin, Ferguson met un terme à sa souffrance et révÚle tout. Mon nom tombe dans le tas.

La suite de l’enregistrement laisse entendre qu’ils trouvent ce qu’ils cherchent. Le coffre, le memsys.

Peu de temps aprĂšs, je deviens le centre de la discussion. Ils obligent Ferguson Ă  m’appeler. Vient alors la conversation que j’ai eu avec lui pour ce dernier contrat, le piĂšge du motel. Je comprends pourquoi il Ă©tait pressĂ©. Mon message de confirmation reçu, les cris reprennent jusqu'Ă  ce que les types se lassent et quittent la piĂšce. Ça me fou en rogne quand je pige que j’ai en quelque sorte participĂ© Ă  sa mort.

Ça continue sur des gĂ©missements, un bruit sourd, du bois qui craque, puis la voix rauque de Ferguson prononçant ces quelques mots : « La prostituĂ©e Ă  la gueule d’Ange ».

La fin de l’enregistrement n’est qu’un souffle rauque s’amenuisant jusqu’à disparaitre.

Je reste quelques minutes devant l’écran, les images de la torture de Ferguson plein la tĂȘte. Avec l’imagination que j’ai, j’en arrive Ă  me faire froid dans le dos.

La situation me laisse un goĂ»t amer en bouche. Les choix de toute une vie ont conduit Ferguson ici, au sol, baignant dans une mare de sang. Et je me rends compte que mes propres choix risques de m’amener au mĂȘme endroit. Peut-ĂȘtre qu’il serait temps de rĂ©flĂ©chir Ă  prendre un chemin diffĂšrent ? Plus tard, dans l’immĂ©diat je dois Ă©viter de terminer comme lui.

Je fouille Ă  travers la boutique et trouve un bidon d’alcool Ă  brĂ»ler. Une fois le corps arrosĂ©, j'en rĂ©pands un peu partout dans le bureau puis craque une allumette. Tout prend rapidement. Je ferme le bureau et renverse le bidon devant la porte avant de sortir de la boutique.

Comme à chaque fois ces derniers temps, la froideur de la nuit m’accueille.

Les derniĂšres paroles de Ferguson rĂ©sonnent dans ma tĂȘte :

« La prostituĂ©e Ă  la gueule d’ange ».

...

La gueule d’ange, je l’ai devant moi Ă  prĂ©sent. Le visage paisible, le regard vide, braquĂ© sur le plafond. Ses yeux n’ont aucune rĂ©action lorsque mes doigts claquent devant eux.

- Je vous dis que ça sert Ă  rien, s’exaspĂšre Sandra, l’une des prostituĂ©es de l’établissement et, apparemment, son amie.

La retrouver a Ă©tĂ© facile. Il s’agit de mon dernier contrat, HĂ©lĂšne. La derniĂšre fois que j’ai vu ce visage paisible, il l’était pour tout autre chose.

- Depuis combien de temps elle est comme ça ? je demande tandis que je tiens sa tĂȘte entre mes mains, examinant ses pupilles.

- Hier matin.

Lorsque je lui ai volĂ© ses souvenirs, c’était il y a six jours. Quelqu'un Ă©tait visiblement passĂ© aprĂšs moi. Peut-ĂȘtre un autre voleur de mĂ©moire, difficile Ă  dire, dĂ©truire un cerveau est Ă  la portĂ©e de beaucoup. Ce qui est sĂ»r, c’est qu’il a foutu un sacrĂ© bordel Ă  l’intĂ©rieur de la pauvre fille.

- Vous ne savez pas qui a pu faire ça ?

- Vous ĂȘtes flic ? elle demande sur la dĂ©fensive.

La question me fait rire.

- Non, loin de lĂ . J’essaye juste de trouver ceux qui lui ont fait ça. Quelqu’un que je connais a connu la mĂȘme chose, ou presque.

Je parle de Ferguson bien sĂ»r. Le chemin est diffĂ©rent, mais l’arrivĂ©e Ă©quivalente.

- Mouais, doute-t-elle peu convaincu. Elle se dĂ©tourne pour observer le dehors Ă  travers la fenĂȘtre. Qu’est-ce qu’ils lui ont fait ? me demande-t-elle chuchotant presque.

- Sa mémoire est foutue.

- Qu’est ce qui va lui arriver ?

- Elle va rester comme ça. Tout est dĂ©truit lĂ -dedans, je dis en lui montrant la tĂȘte de son amie.

La femme a un hoquet libĂ©rant des larmes retenues depuis un moment dĂ©jĂ . Peut-ĂȘtre que j’aurais dĂ» ĂȘtre un peu moins cash.

- Je ne peux pas la laisser comme ça, dit-elle doucement en se triturant les mains.

Je me sens mal Ă  l’aise devant le dĂ©sespoir de cette femme. Ils auraient pu juste lui effacer la mĂ©moire, non, ils l’ont complĂštement lobotomisĂ©e. Un vrai lĂ©gume. Ça me donne la nausĂ©e. Les jeux auxquels je joue entraĂźnent des consĂ©quences qui me touchent de plus en plus. Ce n’est pas bon pour les affaires...

- J’essaye de trouver les responsables, je prĂ©cise Ă  nouveau.

La prostituĂ©e sort de sa rĂȘverie, ou plutĂŽt de son cauchemar.

- Vous comprenez ? je demande.

Elle me regarde, les yeux voilés par les larmes.

- Oui, bien sûr, chuchote-t-elle.

- J’aimerai que vous m’aidiez.

- Comment ?

- Essayez de vous souvenir. Quels ont été ses clients ces derniers jours ?

- Je ne sais pas. Mais nous avons un registre que nous tenons pour notre sécurité.

- Je peux le consulter ?

Sandra se mord la lĂšvre. Ces yeux croisent les miens pour ensuite dĂ©river sur son amie. Lorsqu’ils reviennent Ă  moi, la colĂšre les remplit.

- Rico ne sera pas content, assure-t-elle en se dirigeant hors de la piÚce. Mais ce que Rico ne sait pas, ne peut pas lui faire du mal, se rassure-t-elle aussitÎt la voix moins sûre. Suivez-moi.

Elle me mĂšne Ă  l’entrĂ©e de l’établissement, me demande de patienter le temps qu’elle disparaisse derriĂšre le comptoir de l’accueil, dans une piĂšce qui semble ĂȘtre un bureau. Je la rejoins lorsqu’elle est assurĂ©e qu’il soit vide.

- Je me doutais qu’il n’était pas lĂ , explique-t-elle peu sĂ»re d’elle.

Le bureau en est un. Simple, petit, et ne contenant qu’un terminal dont l’écran blafard illumine courageusement la piĂšce.

Sandra s’approche de lui et navigue à travers divers menus. Ses doigts sifflent de temps à autre sur le moniteur.

- Et voilĂ  la liste des clients d’HĂ©lĂšne pour cette semaine.

- Merci, je lui dis en me rapprochant.

Je repĂšre tout de suite le faux nom que j’ai donnĂ© lorsque j'ai fait appel Ă  ses services, six jours auparavant. Les autres, je n’en connais aucun.

- Il n’y a pas d’adresse, ou d’autres informations ?

- Non, ça s’arrĂȘte lĂ .

Je soupire. Tu parles d’un registre de sĂ©curitĂ©. Une pointeuse plutĂŽt.

- Vous pouvez me dire si sur les deux derniers jours quelqu’un vous parait suspect ?

Elle prend le temps de lire les quelques noms inscrits.

- Non, je... je ne sais pas. En revanche il en manque un !

- Comment ça ?

- HĂ©lĂšne frĂ©quentait quelqu’un de la haute. Elle en Ă©tait amoureuse. Elle espĂ©rait qu’il la sorte de cette merde. Hier soir ils devaient se voir. Elle Ă©tait aux anges.

- Et vous savez qui c’est ?

- Elle n’a jamais voulu me le dire. Elle cachait qui c’était. Mais je les ai vu ensemble derniĂšrement. Je l’ai tout de suite reconnu, il fait les choux gras en ce moment.

...

Pour faire les choux gras, il les faisait, et avec une bonne dose de viande.

La voix excitĂ©e du journaliste en mal de sensations fortes commence Ă  me monter Ă  la tĂȘte. Je coupe le son des infos et met une musique calme Ă  la place. Le doux air d’un orchestre philharmonique rĂ©ussit Ă  m’apaiser la plupart du temps.

Pas cette fois-ci.

L’amant en question n’est autre que le juge Algrow, chargĂ© du procĂšs tenu contre l’un des plus grands magnats de la ville. Ce qui explique beaucoup de choses, et notamment la façon plutĂŽt radicale dont Fergusson nous a quittĂ©s.

Mes pensĂ©es dĂ©rivent sur HĂ©lĂšne et ses faux espoirs concernant le Juge. Je me demande s’il y avait quelque chose de vrai lĂ -dedans. Elle qui espĂ©rait ĂȘtre libre, dans un sens, elle l’était maintenant, mais Ă  quel prix.

Je chasse la prostituĂ©e de ma tĂȘte et m’allonge sur le canapĂ©.

Deux questions me vrillent le crĂąne. La premiĂšre est ce qu’il peut bien y avoir dans la mĂ©moire de la jeune femme qui pousse ces gars-lĂ  Ă  tout faire disparaĂźtre. La seconde est ce que j’allais faire pour m’en sortir.

Je reviens sur l’écran des infos. La camĂ©ra filme le juge Algrow descendant les marches du tribunal. Les journalistes se rapprochent de lui, les micros tendus. L’homme rĂ©pond aux questions qui lui sont posĂ©es.

Je mets en pause. L’image se fige sur sa tĂȘte, le visage dans une position qui ne le met pas en valeur.

Mes rĂ©ponses, c’est lĂ -dedans que je les trouverai.

...

La piĂšce est dans la pĂ©nombre lorsque le juge Algrow entre. Se satisfaisant de l’éclairage extĂ©rieur, il se dĂ©barrasse de sa veste qu’il jette sur un fauteuil puis part s’installer Ă  son bureau. Ce n’est qu’une fois assis qu’il me remarque, proche de l’entrĂ©e. Ses yeux s’élargissent, il se lĂšve aussitĂŽt.

- Bon sang ! Qui ĂȘtes-vous ?

AppuyĂ© contre le mur, j‘ajuste mon arme dans sa direction.

- Chut, je lui chuchote. C’est moi qui pose les questions. Assis !

Il obéit.

- Ma sécurité se trouve juste à cÎté, me menace-t-il. Si vous croyez vous en sortir comme ça !

Le tenant toujours en joue, je ferme le loquet de la porte.

- Et vous croyez que ça va la retenir ?

- Tais-toi, j’ordonne en allant m’assoir sur l’une des chaises face à son bureau.

Plus proche, mon visage se dévoile.

- Vous ! Que voulez-vous ?

- Tiens, tiens, vous me connaissez ?

Le juge hĂ©site, sa bouche s’ouvre mais rien n’en sort.

- Ce n’est pas mon cas, je continue. J’ignorai mĂȘme votre existence jusqu’à aujourd’hui.

Il remue sur son siĂšge.

- Et je pense que ça aurait Ă©tĂ© encore le cas si je n’avais pas reçu la visite de certains de vos amis.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Dommage pour lui, je n’ai pas de temps à perdre.

- Foutaises, je me contente de dire en pressant la détente.

Le juge Algrow baisse une tĂȘte surprise sur la flĂ©chette plantĂ©e au niveau de son cƓur. Ses yeux louchent dessus avant qu’il ne s’endorme, un filet de bave coulant du coin de sa bouche. Ce somnifĂšre est d’une efficacitĂ© !

Je me lĂšve et vais chercher le lecteur mĂ©moriel laissĂ© prĂšs de l’entrĂ©e. J'agis rapidement et sans bruit sachant qu’il y a du monde Ă  cĂŽtĂ©.

Le juge équipé du casque, je passe les lunettes, me connecte et lance une recherche.

Mon objectif, la nuit avec HélÚne. La correspondance est trouvée rapidement.

« Lecture ». La porte de la chambre s’ouvre sur le visage d’ange de la prostituĂ©e. Ses yeux brillent lorsqu’elle dĂ©couvre le juge face Ă  elle. Elle se jette Ă  son cou laissant exprimer la joie en elle.

- Petit chou ! s'exclame-t-elle en lui sautant dans les bras. Je t’ai manquĂ© ?

Je passe rapidement les retrouvailles jusqu’à ce que la prostituĂ©e s’endorme. Le juge s’habille et quitte la chambre, ne prenant pas la peine de refermer derriĂšre lui. Dans le sĂ©jour, il se sert un verre et le sirote en observant les illuminations urbaines Ă  travers la baie vitrĂ©e.

Quelqu’un frappe à la porte.

Le juge regarde sa montre. D’un coup sec il boit le reste de son alcool et se dirige vers l’entrĂ©e de la chambre. Il ouvre Ă  trois hommes, dont un en costume blanc, un borsalino sur la tĂȘte. C’est lui qui parle.

- Algrow. Comment allez-vous ?

Le juge toussote.

- Don ! Vous... vous ne deviez pas venir aussi tĂŽt.

L’homme hausse un sourcil.

- Il n’y a pas d’heure pour accueillir un ami, rĂ©pond-il pĂ©nĂ©trant dans la chambre, suivi des deux autres.

Le juge referme et les rejoint dans le sĂ©jour. Il leur propose de se mettre Ă  l’aise. Seul le Don s’installe, retirant son chapeau qu’il jette Ă  l’un de ses gorilles.

Algrow hĂ©site un instant avant de s’asseoir face Ă  lui. Il sert maladroitement un verre, qu’il tend au Don.

- Je n’aurais pas le temps pour ça. Nous allons faire vite.

- Oui, je comprends. Allons à l’essentiel.

Le juge observe la boisson, puis en boit la totalité.

- J’attends, le presse le Don.

- La partie adverse a de quoi vous faire inculper, réussit-t-il à dire aprÚs avoir dégluti. Des témoins. Deux.

- Je veux les noms.

- Oui, oui, s’empresse le juge, tout est dans le dossier.

Il se lĂšve et se dirige vers une commode de laquelle il sort un cartable en cuir.

- Mon lapin ?

Son geste se fige au son de la voix d’HĂ©lĂšne. Il se retourne aussitĂŽt pour la dĂ©couvrir sur le seuil de la chambre, un drap passĂ© sur elle.

Le Don se retourne lui aussi, observant la prostituĂ©e. Le regard qu’il pose ensuite sur le juge demande une rĂ©ponse. Les hommes de main n’ont pas bougĂ©. Tout montre en eux qu’ils sont aux aguets.

- Qui est-ce ?

Personne, s’empresse de rĂ©pondre le juge. Retourne dans la chambre ! ordonne-t-il sĂšchement Ă  HĂ©lĂšne.

Les yeux de la prostituĂ©e passent de l’un Ă  l’autre, encore tentĂ©s d’un sommeil rĂ©cent.

- Non, non, non, intervient le Don visiblement agacé. Il se lÚve. ChÚre Madame, allez-vous habiller. Tout de suite !

Son ton sec, sans appel, ne laisse pas d’autres choix que d’obĂ©ir. HĂ©lĂšne lance un regard plein de questions au juge.

- ObĂ©is, s’il te plaĂźt, vite, l’implore-t-il.

La prostituée disparait dans la chambre pour réapparaitre rapidement, sa robe passée, ses chaussures en main.

- Messieurs, sortez-moi ça de là, ordonne alors le Don.

Le tout se fait en silence.

Le juge Algrow tient toujours le cartable en cuir lorsque le Don le lui arrache des mains. Son attention quitte alors HélÚne.

- Je vous laisse trois jours pour vous dĂ©barrasser d’elle.

- Que, quoi ?

- Elle nous a vus, vous et moi. Et je ne parle pas de ce qu’elle a pu entendre.

- Elle ne dira rien. Je vous promets.

- Je ne veux aucun lien. Aucune trace.

Le Don se dirige vers la sortie, ses gorilles sur les talons. A l’entrĂ©e, il s’arrĂȘte un instant. « Trois jours » rĂ©pĂšte-t-il avant de quitter la piĂšce.

Je stoppe la scÚne. Voilà ce qui a tout déclenché. Le Juge, le Don, le procÚs. Le lien qui les unit tous.

L’échange est mis en mĂ©moire. J’ai ce que je cherchais. Mon sauf-conduit. Le moyen de pression qui va me permettre de m’en tirer. Va falloir la jouer finement.

Il est temps que je me barre, seulement ma curiosité me pousse à savoir pourquoi ils ont cherché à se débarrasser de moi aussi.

Je lance une recherche avec le mot « prostituĂ©e » sur les jours suivants la rencontre. Une seule correspondance est trouvĂ©e.

« Lecture ». Je me trouve dans une cuisine spacieuse au mobilier en marbre rose.

Une femme d’une bonne cinquantaine, le corps bien portant, gesticule de colĂšre, le visage rouge d’émotion.

- Comment as-tu pu ? crie-t-elle. Plus de trente annĂ©es de Mariage. Et toi tu fous tout en l’air !

- ArrĂȘte tes Ăąneries ma puce. Il n’y a que toi.

A ces mots, le visage de la femme rougit plus encore.

- Comment oses-tu ? crie-t-elle. J’en ai la preuve. Tout est lĂ  !

Dans sa main, un memsys.

- Depuis l’arrivĂ©e de ta pute Ă  l’hĂŽtel, jusqu’à sa sortie !

Je n’ai pas le temps d’en visionner plus car la rĂ©alitĂ© revient Ă  moi par des coups donnĂ©s sur la porte.

- Juge Algrow. Tout va bien ?

Les chocs reprennent.

- Juge Algrow. Pourquoi la porte est fermĂ©e ?

Je retire mes lunettes brusquement, clignant des yeux le temps qu’ils s’habituent Ă  l’obscuritĂ© ambiante.

- Je vais entrer M. le Juge, averti le garde du corps.

J’ai juste le temps de me plaquer contre le mur Ă  cĂŽtĂ© de l’entrĂ©e lorsque la porte s’ouvre dans un craquement. Un homme pĂ©nĂštre dans la piĂšce l’arme au poing. PlacĂ© derriĂšre lui, je tente de l’assommer avec la crosse de mon pistolet. Le garde du corps tombe Ă  genou, pouffant sous le coup. Il pousse un cri lorsqu’une flĂ©chette tranquillisante s’enfonce dans l’une de ses fesses. Puis une seconde fois lorsque mon pied lui choque la face.

L’homme roule sur le dos, hĂ©bĂ©tĂ©. Je m’agenouille sur lui afin de l’empĂȘcher de bouger. Il tente de se libĂ©rer mais l’effet du somnifĂšre agissant, je n’ai pas de mal Ă  le maintenir au sol.

- Deux fois que je t’échappe, je lui dis en reconnaissant le type du motel, Fine moustache. Tu devrais songer Ă  changer de mĂ©tier.

- EnfoirĂ©, bredouille-t-il d’une voix pĂąteuse avant que je l’assomme d’un coup de poing.

J’avoue, ce n’était pas nĂ©cessaire, l’anesthĂ©siant l’aurait sĂ©chĂ© rapidement. Mais qu’est-ce que ça soulage.

Je me lÚve et prend le temps de récupérer mon matériel.

Quelle poisse ! Toutes ces emmerdes parce qu’une bonne femme en a aprĂšs les infidĂ©litĂ©s de son mari. Merde, il est vraiment temps de me reconvertir.

Dans la salle d’attente qui jouxte le bureau du juge, je charge mon matĂ©riel dans le chariot de l’homme d’entretien empruntĂ© pour l’occasion, j’enfile une casquette ornĂ©e du logo « HELLO NETTOYAGE » et quitte les lieux.

Il ne me reste plus qu’à rĂ©gler un dĂ©tail avant la fin.




La villa du Don se situe sur le haut d’un des plus grands immeubles de la ville. Dire que le Monsieur a un Ă©go dĂ©mesurĂ© est loin de la rĂ©alitĂ©. Tout ce faste, je ne savais mĂȘme pas que ça pouvait exister.

Quelle qu’elle soit, sa propriĂ©tĂ© est entourĂ©e d’un bouclier Ă©nergĂ©tique dont la seule façon d’entrer ne peut ĂȘtre qu’officielle, c’est-Ă -dire, se prĂ©senter Ă  la porte d’entrĂ©e. C’est donc ici que je me rends.

Mon arrivĂ©e sur le parking ne passe pas inaperçue et je suis aussitĂŽt rejoint par deux hommes d’une sĂ©curitĂ©, elle aussi, dĂ©mesurĂ©e.

Les deux gardes ne me tiennent pas en joue mais c’est tout comme.

- Motif de votre visite ?

- Je veux rencontrer le Don.

L’un rit.

- Et tu crois qu’il va te recevoir comme ça ?

- J’en ai bien peur oui. Dütes lui que c’est en rapport avec le juge Algrow.

Les hommes se regardent, hĂ©sitant sur la dĂ©marche Ă  suivre. Puis l’un d’eux se dĂ©cide.

- Surveille, je me rencarde.

Il s’éloigne de quelques pas. L’autre, les yeux fixĂ©s sur moi. Les paroles du premier sont emportĂ©es par le vent si bien que je n’entends pas ce qu’il dit, puis aprĂšs un hochement de tĂȘte, il revient vers nous.

- C’est bon. Suis-nous.

Les deux gardes m’escortent jusqu’au poste d’entrĂ©e dans lequel ils me fouillent sans y aller de main morte. Satisfait, ils me confient Ă  un troisiĂšme homme, d’aspect majordome, dont la bosse de son arme trahit des compĂ©tences plutĂŽt rares pour le mĂ©tier.

On contourne la bĂątisse Ă  travers un jardin luxuriant pour atteindre une terrasse spacieuse entourĂ©e d’arches en pierre, dont l’espace central est occupĂ© par une table et quatre chaises en fer forgĂ©.

Le Don prend son petit déjeuner seul. Un autre garde, quelques pas derriÚre lui, fait partie de la décoration.

A portĂ©e de voix, je suis invitĂ© Ă  prendre place. Le “majordome” qui m’a accompagnĂ© reste en retrait derriĂšre moi.

Je suis bien entourĂ©, et vu le sĂ©rieux des gars, je n’ai pas intĂ©rĂȘt Ă  faire de gestes brusques.

- C’est un joli temps !

La voix du Don est aussi légÚre que le sujet abordé. J'hésite et décide de jouer le jeu.

- Je trouve aussi.

Le regard qu’il me jette est plein d’amusement.

- Parce que tu crois que ton avis m’intĂ©resse ? glousse-t-il. Pas le moins du monde.

Il marque une pause.

- Lorsqu’il fait beau comme ça, j’aime prendre mon petit dĂ©jeuner dehors. Le chant des oiseaux me met en joie.

Le Don observait le ciel tout en parlant.

- Et il y a quelque chose que je dĂ©teste, c’est d’ĂȘtre dĂ©rangĂ© lors de ce moment-lĂ , continue-t-il d’une voix enjouĂ©e. Oui, je dois bien le reconnaitre, ça a une lĂ©gĂšre (il insiste lourdement sur ce mot) tendance Ă  me rendre de mauvaise humeur, termine-t-il, sa colĂšre retenue.

Il respire un grand coup puis sort un cigare de l’intĂ©rieur de sa veste. L’air s’emplit d’une fumĂ©e Ă©paisse lorsqu’il crapote dessus en l’allumant. D’un geste, il la dissipe puis son attention revient sur moi.

Il soupire.

- Je dois accepter que certaines affaires ne puissent pas attendre.

Pointe son cigare dans ma direction.

- C’est donc toi qui as rendu visite à mon ami le Juge.

- Vous comprenez vite, je confirme.

- Tu sais Fils, je ne serais pas ici si je n’avais pas un minimum de jugeote, marquant sa vĂ©ritĂ© en levant les yeux au ciel.

Le Don attrape sa tasse et en hume le contenu. Ses lĂšvres se posent sur le rebord. Un bruit d’aspiration accompagne la gorgĂ©e qu’il boit. Je m’irrite.

- Pour quelle raison pensez-vous que je sois lĂ  ? je demande alors.

Le Don suspend son geste. Il repose la tasse et s’appuie contre le dossier de son fauteuil, les coudes aux accoudoirs, les doigts croisĂ©s devant sa bouche. Son regard se braque sur moi.

J’ai entendu dire un jour que les yeux Ă©taient la fenĂȘtre de l’ñme. En cet instant prĂ©cis, les siens plongĂ©s dans les miens, je vois quelque chose que je n’arrive pas Ă  dĂ©crire. Mon corps, lui, sait, il frissonne, mon ventre se noue.

- Je suppose que tu as quelque chose à négocier sinon tu ne serais pas ici.

- C’est le cas.

- Parle qu’on en finisse.

- Je sais que vous tenez le juge entre vos mains.

Je marque une pause, tendant le bras pour attraper la tasse du Don. Je la hume à mon tour. Une grimace s’affiche sur mon visage tandis que je repose la boisson.

- Je ne sais pas ce que vous trouvez à ça, je lùche, dégoutté.

Le Don ne répond rien, attendant la suite.

- Comme je le disais, ce que je possĂšde montre clairement les liens que vous entretenez avec le juge.

- Et alors ? rĂ©plique-t-il en agitant la main d’impatience.

- Et alors, vos hommes ont tenté de me tuer.

Le Don claque plusieurs fois la langue dans sa bouche.

- Non, non, non. Laisse-moi rectifier un détail. Je ne suis pour rien de la façon dont le juge a voulu régler ce problÚme. Bien que je doive dire que mes méthodes auraient été similaires. A une différence prÚs.

- Et quelle est-elle ?

- Tu ne serais pas ici à me déranger pendant le petit déjeuner.

Le Don sourit, reprend sa tasse, boit une lampée et lÚve les yeux au ciel, savourant le breuvage.

- Tu ne sais pas ce que sont les bonnes choses.

Il prend le temps de boire une autre gorgée avant de reprendre.

- Et donc, qu’est-ce que tu veux ? De l’argent ? Tu crois que je vais te donner quoi que ce soit alors qu’il me suffirait de lever le doigt pour que tu sois abattu sur le champ ?

Je ne peux pas m'empĂȘcher de rire.

- Vous vous trompez. L’argent ne m’intĂ©resse pas. Je veux simplement que vous me laissiez tranquille. Vous, moi, ce que j’ai dĂ©couvert. On oublie tout. Vous faĂźtes vos affaires. Je ne me mĂȘle pas des vĂŽtres.

Le Don me fixe droit dans les yeux, regard que j’essaye de soutenir sans ciller.

Au loin, le chant des oiseaux apporte une touche joyeuse en dĂ©saccord avec l’ambiance existante autour de cette table.

- On pourrait dire que je m’en sors bien n’est-ce pas ? Pas d’argent versĂ©, faire comme si de rien n’était.

- Exactement.

- Et qu’en est-il des « preuves » que tu possĂšdes ?

- J’y ai rĂ©flĂ©chi. Les garder me permettrait d’avoir une pression sur vous. Vous chercheriez surement Ă  les rĂ©cupĂ©rer. Le rĂ©sultat pourrait ĂȘtre fĂącheux. Ce n’est pas ce que je veux. Je vous propose de vous donner le seul memsys des souvenirs du Juge que j’ai en ma possession. En gage de ma bonne foi. Et je vous fais confiance pour garder vos portes flingues prĂšs de vous.

- Aussi simple que ça ?

- Aussi simple que ça.

- Alors donne-moi le et n’en parlons plus, demande le Don en tendant la main.

- Je ne suis quand mĂȘme pas aussi naĂŻf. Vous voulez vous faire passer pour un homme d’affaire intĂšgre, mais votre rĂ©putation est tout autre. Vos mĂ©thodes sortent souvent du cadre de l’honnĂȘtetĂ©. Si cet accord est passĂ©, je vous donnerai le memsys selon mes conditions. Pas avant.

Le Don fait Ă  nouveau tournoyer sa boisson, humant encore le fumet qui s’en dĂ©gage.

Son visage, sérieux, se transforme soudain.

- Tu me plais petit ! dit-il en joie. Travaille pour moi !

- Pardon ?

- Oui, travaille pour moi. Tu en as lĂ  oĂč il en faut. Et j’ai besoin de personne comme toi autour de moi. Tu auras accĂšs Ă  toute une technologie que tu n’imaginais pas avoir jusqu’à aujourd’hui. Et je ne te parle pas de l’argent que tu gagneras. Ça rĂ©glera notre petit problĂšme aussi.

La proposition me surprend. Et j’avoue, je ne peux m’empĂȘcher de rĂ©flĂ©chir Ă  tout ce qu’il me fait miroiter. C’est clair que ma vie serait diffĂ©rente. En mieux ? Je ne pense pas. Je ne suis pas comme ce gars-lĂ . Et il y a une chose Ă  laquelle je tiens plus que tout : ma libertĂ©.

- Merci pour votre proposition, j’en suis flattĂ©. Mais je ne suis pas intĂ©ressĂ©.

Le Don hausse un sourcil, visiblement surpris d’ĂȘtre Ă©conduit.

- Tu refuses ?

- Oui.

- Tu sais qu’on ne me refuse rien ?

- Oui.

- Bien, il répond, son égo contrarié. Comment fait-on alors ?

- Je vous l’ai dit. Je vous donne le memsys, vous m’oubliez.

Le Don crapote plusieurs fois sur son cigare. Ses yeux parcourent l’horizon avant de revenir sur moi.

- J’accepte, me dit-il aprĂšs un soupir. Alors, oĂč il se trouve ?

- Je vous le dirai, je réponds en me levant, dÚs que je me sentirai en sécurité.

- Alors, c’est la derniùre fois qu’on se voit.

- C’était le but de ma venue ici. Que cette rencontre soit notre premiĂšre et derniĂšre.

- Bien. Faisons cela alors. Reprend ta vie. J’en ferai de mĂȘme. DĂ©gage maintenant. Ignace, crie-t-il alors.

- Oui MaĂźtre, intervient aussitĂŽt un petit homme sorti de nulle part.

- Raccompagne Monsieur. Et apporte-moi du cafĂ© chaud et d’autres Ɠufs aussi, tout est froid ! s'Ă©nerve-t-il.

Ignace m’invite Ă  le suivre. Cette fois-ci nous traversons la villa. Tout comme l’extĂ©rieur, le lieu est une dĂ©bauche de luxe.

Nous atteignons le hall d’entrĂ©e, un de ces halls clichĂ© de la demeure de riche, entourĂ© par deux escaliers de marbres.

Le domestique m’ouvre la porte et m’indique la sortie en silence.

Je ne me fais pas prier. La porte claque légÚrement derriÚre moi.

C’est Ă  ce moment-lĂ  que la pression se relĂąche. Putain, j’ai l’impression de respirer Ă  nouveau, comme si mon souffle avait Ă©tĂ© retenu tout le long de la rencontre. MĂȘme mon ventre se dĂ©tend. Je ne m’en Ă©tais pas rendu compte.

Je m’avance rapidement sur le perron, descend quelques marches, je n’ai pas l’intention d’admirer la beautĂ© des lieux.

La nĂ©gociation ne s’est pas si mal passĂ©e. Avec ce type de personne, il n’y a souvent qu’une Ă©chappatoire : la mort. Et je respire encore. Je sais trĂšs bien qu’il ne me laissera pas tranquille. Ce que j’ai nĂ©gociĂ© tout Ă  l’heure c’est du temps. Ce temps que je mettrais Ă  profit pour...

- Seamus !

La voix du Don parut venir des cieux.

Les nuages, le vol des oiseaux, les feuilles des arbres, tout se figea dans un silence total.

- Qu’est-ce que tu fous Bordel !

La voix du Don retentit Ă  nouveau de partout Ă  la fois.

Le casque de lecture fut retirĂ© brutalement, renvoyant l’homme Ă  une rĂ©alitĂ© composĂ©e d’écrans lumineux, de serveurs, d’un corps allongĂ© sur une table et du Don.

- Je m’impatiente, dĂ©clara-t-il, irritĂ©.

- Ne faites plus jamais ça !

- Je te rappelle Seamus que tous ces joujoux m’appartiennent. Donc, je fais ce que je veux, conclut-il moqueur.

Assis, le Seamus en question tenait fermement les accoudoirs. Sa vision tournait. Il eut un haut le cƓur. Peu Ă  peu, son corps retrouva les sensations qui lui Ă©taient propres. Le malaise diminua.

Le regard noir qu’il lança au Don ne rĂ©ussit qu’à le faire sourire plus encore. Ce dernier lui jeta le casque de lecture sur les jambes.

- Trouve moi vite ce que je veux. Je n’ai pas que ça à faire.

- J’étais en train de remonter le cours des Ă©vĂšnements, se dĂ©fendit Seamus. Il est fort le gars. Presque aussi fort que moi.

- Ah bon ? Et qu’est ce qui le rend moins bon que toi ?

- Il a fait l’erreur de vous faire confiance.

Le Don éclata de rire.

- Tu en es oĂč ? insista-t-il retrouvant son sĂ©rieux.

- Je me rapproche. Laissez-moi quelques minutes encore.

- Et qu’est-ce que tu attends alors ! s’énerva le Don en gesticulant des bras.

Seamus remit son casque, retournant dans la mémoire du Nememsys.

Le Don arpentait la piÚce de long en large, son impatience augmentant à chaque pas. AprÚs un temps qui fut une éternité pour lui, Seamus revint dans le présent.

- Vous aviez raison, confirma-t-il aussitĂŽt. Il y a bien une copie.

Le Don gloussa fier de lui.

- Ça ne m’étonne pas, Ă©luda-t-il d’un geste de la main.

Il crapota sur son cigare, s’approcha du Nememsys allongĂ© sur la table, et lui recracha la fumĂ©e en plein visage.

- Cette fois-ci Fils, c’est bien la derniùre fois que l’on se voit.

Il se tourna alors vers Seamus.

- Tu sais oĂč trouver ça ?

- Le parc Ender. Sous un arbre.

- Tu sais ce qu’il te reste à faire.

- Oui. Et qu’est-ce que je fais de lui ?

- Tu me le zappes.

- De quelle maniĂšre ?

- Ça m’est Ă©gal.

Le Don se leva.

- Rapporte-moi le memsys. J’attends de toi que ce soit rapide. Il se dirigea vers la seule porte de la piĂšce. Sur ce, je te souhaite une trĂšs belle fin de
 il consulta sa montre. Et bien ! Une trĂšs belle fin de nuit.

Le Don quitta la piÚce aussitÎt, sifflotant de plaisir, son cigare laissant une trainée odorante sur son passage.

La porte se rabattit dans un chuintement, laissant l’homme seul avec le Nemensys.

- Et bien mon gars, qu’est-ce que je vais faire de toi ?




Asphyxie.

De l’air !

L’air lui manque, il le cherche, ne le trouve pas.

Il s’agite, se dĂ©bat, ses bras repoussent la masse sombre qui l’étouffe, ils parviennent Ă  dĂ©gager ce qu’il faut.

L’air !

L'air vient à nouveau, s’engouffre en lui grandement. Il peut respirer ! Il respire !

L’odeur l’assaille, son estomac se soulùve.

Panique.

Il lutte, s’efforce de se libĂ©rer. Son corps roule, s’échappe plus encore, rampe hors du tas d’immondices qui le recouvre.

Le soulagement est de courte durée. Tout est confus. Et cette douleur qui lui transperce les tempes. Il gémit.

Au loin, du mouvement, des gens, du bruit. Les sons lui paraissent lointains, ils Ă©mergents difficilement du sifflement constant qui l’accompagne.

Il parvient Ă  se lever, prenant appui sur le mur face Ă  lui. Sa respiration est pantelante. Il titube en direction de cette rue pleine de vie. La cohue qui l’accueille le fait trĂ©bucher. Sa tĂȘte heurte le sol. SonnĂ©, il ne remarque pas les passants l’enjamber sans aucune considĂ©ration.

Un effort laborieux le met debout.

Stupeur.

Le flot continue tout autour. Lui ne voit qu’une seule chose. Le reflet d’un homme dĂ©peint par la vitrine d’une boutique.

Lentement, il se rapproche et pose une main tremblante sur la surface vitrĂ©e tandis que l’autre effleure un visage qui ne peut ĂȘtre que le sien.

Du tumulte de ces pensĂ©es ne subsistait qu’une seule question :

« Qui suis-je ? »


Texte publié par EJjay, 13 aoĂ»t 2025
© tous droits réservés.
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