Ce n’est pas la première fois que je vois ce type. Non ! Je le croise même très souvent, lui et sa sale gueule. Je crois qu’on ne s’aiment pas beaucoup, lui et moi. En ce qui me concerne, c’est même sûr, je le hais cordialement. Viscéralement. Je ne peux pas l’encadrer.

Déjà, il n’est pas beau. On ne juge pas le physique, je sais, c’est con. Mais il faut dire que ça n’aide pas à démarrer du bon pied aussi. On voit qu’il ne prends pas soin de lui. Je le vois qu’il ne prends pas soin de lui. Il est mal rasé, il ne prends jamais la peine de se coiffer, il s’habille de trucs délavés. Il a de ces cernes sous les yeux. Il dort mal ce type. Et ça se voit à son teint, à ses yeux veinés de rouge et sa face qui tombe comme pour toucher le sol.

Voilà ce qui explique peut-être son sale caractère, le manque de sommeil. Je le vois râler et pester tous les matins contre tout et n’importe quoi. Il n’aime rien. Tout lui déplaît. Je sais qu’il avale des cachets par poignées, histoire d’essayer de voir la vie en rose. Enfin, un peu de rose. Toujours est-il que ça reste noir. Et parfois il arrose ça au mauvais whisky. Vous savez ? Le truc qui pourrait déboucher les toilettes. Je le vois s’en descendre des verres dans le gosier.

Et qu’est-ce qu’il est con ! Nom d’un chien qu’il est con ! J’vous le dis. Il n’a rien à foutre de ses journées mais vous croyez qu’il ouvrirait un bouquin ? Qu’il se promènerait ? Qu’il essaierait de s’ouvrir l’esprit ? Je le vois bien, dans son fauteuil, toute la journée les yeux rivés à sa télé qui illumine sa face blafarde comme un feu de camp numérique. Le sport, quand c’est pas les chaînes d’infos en continue. Qu’est-ce que ça peut lui faire les infos ? Il ne fout pas les pieds à l’extérieur. Il se fout autant du monde que le monde se fout de lui. C’est dire. Quant au sport, quand on reste le cul vissé à son fauteuil … Ah, mieux vaut ne pas en parler.

Il n’aime rien, pas même sa femme. Parfois ils gueulent tellement fort tous les deux qu’ils dérangent tout le quartier. Et vous croyez qu’une fois, rien qu’une seule fois ils baisseraient un peu le ton pour épargner les voisins ? Ou qu’ils en concevraient le moindre remord ? Je t’en foutrais, tiens.

Je n’en peux plus de ce mec. Je vois sa tronche, je la regarde là comme je vous parle, en ce moment, en face de moi.

Et puis soudain ma femme se remet à gueuler.

- Mais merde ! Qu’est-ce que tu fous ? Tu vas passer toute ta putain de journée devant ce miroir ?