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Peine et Chagrin

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Peine et Chagrin

© Rose P. Katell (tous droits réservés)

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes de l’article L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Peine observa Chagrin dans l’encadrement de leur ridicule pièce de vie familiale, et son cœur se serra. Dos à elle, rigide, son jumeau feignait de regarder par la fenêtre… en prétendant ne pas avoir remarqué sa présence silencieuse. Comme si c’était possible. Comme si ses pensées, qu’ils partageaient, ne l’en avaient pas averti.

Elle retint un soupir. En vingt ans, il n’y avait jamais eu de dĂ©saccord entre eux ; celui-ci, mĂŞme s’il couvait et plus encore depuis un moment, Ă©tait le premier. Le seul… Et sa simple existence lui procurait le sentiment qu’ils portaient bien leurs noms.

Peine et Chagrin. Deux patronymes parfaits, vu les prémices du déchirement qu’ils ressentaient tous les deux sans l’oser l’avouer à voix haute…

Ils avaient d’autres prĂ©noms, autrefois – des vrais, des normaux. Avant que la malĂ©diction jetĂ©e sur leur lignĂ©e ne les frappe, que les esprits n’aient plus de secrets pour eux, et que leur mère ne se dĂ©couvre l’âme d’une poĂ©tesse torturĂ©e… Mais cette Ă©poque remontait si loin ! Peine ne se souvenait pas de leur sonoritĂ©.

— La nostalgie ne te va pas, lui déclara Chagrin, sans bouger d’un pouce.

Une parole, non une réflexion mentale – il lui en voulait, voire la punissait.

— Probablement pas, non.

— Tu ne reviendras pas sur ta dĂ©cision ?

Elle ferma les yeux un instant. Il connaissait déjà la réponse : il la lisait en elle.

— Non… J’ai trop attendu.

La dĂ©sapprobation de son frère plana soudain autant dans l’air ambiant qu’à l’intĂ©rieur de son crâne. Peine grimaça ; au moins, il se faisait violence pour ne pas songer Ă  tout le mal qu’il souhaitait Ă  son projet fou…

— Je n’ai plus qu’à te dire bonne chance, je suppose. Puisque tu es sur le départ.

— Ne prononce pas des mots s’ils n’ont pas de poids pour toi.

Chagrin ne répliqua pas. Les lèvres tremblantes, consciente qu’il ne lui offrirait aucun geste d’au revoir, elle inspira. Puis, uniquement confiante du poids de son sac à dos, Peine se retourna, prête à quitter leur domicile étriqué et éloigné pour une durée indéterminée.

… Tu as oublié d’emporter Orson. Tu l’as laissé dans ma chambre.

AussitĂ´t, elle sourit tout en retenant un sanglot. La peluche, son plus vieil ami d’enfance, lui avait Ă©tĂ© dĂ©robĂ©e par lui-mĂŞme quand ses desseins Ă©taient passĂ©s de l’étape « idĂ©e » Ă  l’étape « prĂ©paratifs concrets » ! Une tentative presque rĂ©ussie pour l’empĂŞcher de partir. Les dents de Peine mordillèrent sa lèvre infĂ©rieure. Oh… Seule sa dĂ©termination lui avait permis de ne pas flancher !

L’émotion la prenait Ă  la gorge. Chagrin avait dĂ©ployĂ© tant d’efforts afin de contrĂ´ler sa conscience, de ne pas se trahir et lui « montrer » l’endroit oĂą il l’avait dissimulĂ©e… Qu’il le lui rĂ©vèle Ă©tait une preuve d’amour ; la marque ineffable de leur lien, toujours lĂ  malgrĂ© leur flagrante divergence d’opinions vis-Ă -vis de sa quĂŞte !

Et peut-être fut-ce la raison pour laquelle elle n’allait pas récupérer Orson… Elle préféra le lui prêter, telle une promesse.

Elle reviendrait. Peine regagnerait les siens lorsqu’elle aurait repéré et utilisé la pierre de Silence.

***

Son sac à dos alourdi par les archives familiales – qu’elle venait de récupérer après des journées et des journées de recherches dans leur village natal, à traquer la moindre information sur sa lignée –, Peine s’éloigna des habitations à pas rapides malgré l’effort demandé.

S’échapper de là… Elle devait s’échapper de là… Mettre le plus de mètres entre elle et les – trop nombreux – rĂ©sidents des lieux ! Leurs pensĂ©es s’entremĂŞlaient en elle ; elles formaient une cacophonie… assourdissante. Incapable de les repousser, obligĂ©e mĂŞme de les accueillir parmi les siennes, Peine n’y distinguait dĂ©sormais plus qu’un bruit, bien trop puissant, oĂą nul mot n’était perceptible. OĂą il n’y avait de sens rĂ©el Ă  rien ! Les larmes menaçaient de franchir la barrière de ses paupières depuis un moment… Elle avait de plus en plus envie de se fracasser le front contre le plus gros roc du chemin.

Par leur hĂ©ritage maudit ! Elle jugeait dĂ©jĂ  son minuscule hameau – oĂą leurs parents s’étaient exilĂ©s quand Chagrin et elle avaient Ă©tĂ© renommĂ©s – tapageur… Peine n’osait imaginer ce qu’elle ressentirait et Ă©prouverait au cĹ“ur d’une ville ou d’une citĂ© ! Si sa quĂŞte de la pierre l’y menait… Non. Elle refusait d’y songer. Pas tant que ce ne serait pas nĂ©cessaire.

Enfin, son tumulte intĂ©rieur s’apaisa ; elle rĂ©entendit sa propre voix… et celle de Chagrin – Ă  laquelle elle restait connectĂ©e peu importe la distance.

Tu te fais du mal, déplora-t-il.

C’est vrai. J’y Ă©tais prĂ©parĂ©e, ne t’inquiète pas. Et je suis dĂ©terminĂ©e !

… Pour une potentielle chimère ?

Peine devina l’hésitation de son jumeau. Son appréhension à l’idée de la froisser et de creuser le gouffre qui se formait entre eux.

J’ai besoin d’y croire… Regarde, j’ai les journaux de nos ancĂŞtres, ceux oĂą notre père jure que la pierre de Silence est mentionnĂ©e ! Comprends-moi, je t’en prie… C’est ma chance d’être Ă  nouveau normale. Cela pourrait ĂŞtre la tienne aussi… si tu le dĂ©sirais.

Jamais, trancha Chagrin avec une pointe de dĂ©goĂ»t impossible Ă  masquer. Je… Notre malĂ©diction n’en est pas une : nous ne sommes pas condamnĂ©s, mais pourvus d’un don. Il nous permet de lire dans l’âme des gens, et nous jaugeons sans peine leur honnĂŞtetĂ© ! Il nous montre ce qu’est rĂ©ellement l’humanitĂ©, Peine ! Il nous offre du pouvoir.

Un frisson secoua son corps. Elle dĂ©testait lorsqu’il raisonnait ainsi ; en grande partie parce qu’il Ă©tait sincère… et qu’elle n’était pas en mesure de l’ignorer.

Nous ne sommes pas d’accord là-dessus, se désola-t-elle.

Il insista pourtant.

Ton caillou, s’il existe, ne t’apporta pas la paix… Nous sommes qui nous sommes.

Les poings de Peine se serrèrent le long de ses cuisses. La tristesse de Chagrin était réelle. Hélas, elle avait déjà et déjà entendu ce discours – elle le réfutait chaque fois un peu plus.

Je ne supporte plus d’être au mieux considĂ©rĂ©e comme une bĂŞte de foire ! argua-t-elle avec vivacitĂ©. Je… je souffre quand on remarque que quelque chose ne va pas chez moi, que j’en sais trop. Je veux ĂŞtre davantage que mon nom, Chagrin. Davantage qu’un…

Elle s’interrompit. En vain.

… Qu’un monstre ? complĂ©ta-t-il, plus âcre.

Je ne parle pas de toi !

Un silence, lourd. Puis…

Seulement de toi, oui. Semblable Ă  moi en tout point.

… Presque en tout point.

Presque.

Peine pinça ses lèvres, désolée.

Tu ne me reprocheras pas d’avoir voulu te prévenir.

Chagrin se retira sans un mot de plus, la laissant coupable avec ses rêves sur la légende familiale – celle censée briser leur infortune… Prise dans le tourbillon de ses émotions et de ses attentes, elle nota à peine que les voix des résidents du village quitté s’étaient tues. Qu’elle s’était assez éloignée.

MalgrĂ© leur dispute, Chagrin n’était pas « parti » avant leur disparition.

***

Les mots dĂ©filaient sous les yeux fatiguĂ©s de Peine. Oh… Depuis combien de temps lisait-elle les diffĂ©rents carnets des membres – anciens, tous dĂ©cĂ©dĂ©s – de sa famille ? Pas moyen de le dĂ©terminer ! InstallĂ©e sur une souche d’arbre assĂ©chĂ©e au beau milieu de nulle part, le fessier et les genoux endoloris par son immobilisme, elle grignotait des baies aperçues en chemin en tournant et tournant les pages… Trouver de premiers indices sur la pierre lui avait fait perdre son sens de la modĂ©ration. Il lui en fallait plus ; plus de dĂ©tails, plus de concret !

Une piste… Elle avait une piste ! Peine Ă©tait pratiquement certaine de la direction Ă  prendre, de sa prochaine Ă©tape.

Un soupir aussi proche du sourire que du souffle lui Ă©chappa. Les mentions de la pierre de Silence Ă©taient si rares et Ă©vanescentes, dans les archives ! L’adrĂ©naline la gagnait sitĂ´t qu’elle y dĂ©nichait la plus petite allusion… Sa lignĂ©e avait-elle eu peur d’y accorder du crĂ©dit, Ă  l’époque du mauvais sort et après ? L’idĂ©e, plausible, la dĂ©passait ! Comment Ă©tait-il possible de s’inquiĂ©ter Ă  la perspective d’enfanter des jumeaux – les victimes du fameux sort –, mais de ne pas oser espĂ©rer qu’un remède existe ?

Pire : entre les lignes, la plupart de ses ancêtres paraissaient appréhender celui-ci, comme s’il s’agissait d’un piège ou d’une menace plus terrible que leur condamnation à entendre les réflexions les plus intimes d’autrui…

Peine ne l’expliquait pas. L’unique page oĂą l’effet de l’artĂ©fact Ă©tait dĂ©crit, il Ă©tait notĂ© ceci : son pouvoir, en rencontrant l’esprit d’une personne, Ă©tait de lui apporter un calme absolu… Elle annihilait les pensĂ©es parasites. Or, c’était exactement le bienfait qu’elle recherchait ! Ses dents mordillèrent l’intĂ©rieur de sa joue. La perspective d’être normale, de redevenir celle qu’elle avait Ă©tĂ© durant sa tendre enfance lui Ă©tait si douce… Par quelle diablerie les jumeaux qui les avaient prĂ©cĂ©dĂ©s, Chagrin et elle, n’avaient-ils pas mĂŞme essayĂ© de saisir cette chance ?

Sans doute avaient-ils perçu, eux aussi, la valeur de ce qui leur a été accordé, intervient Chagrin.

… Tu es aveuglé, se plaignit-elle, malgré elle agacée d’être interrompue dans sa lecture.

Un rire jaune résonna aussitôt au sein de sa tête.

Je pourrais en dire autant de toi. Tu dĂ©sires tellement ĂŞtre normale… Ne plus entendre la conscience des autres ne les empĂŞchera pas de les avoir, tu t’en rends compte ? Tu deviendras ignorante, c’est tout : tu n’auras aucun moyen de savoir si l’individu en face de toi est sincère ou non. C’est ce que tu souhaites ?

Cet individu ne me craindra pas…

L’exclamation de son frère, juron soudain et désabusé, lui fit l’effet d’un coup de poignard en plein cœur.

S’ils nous craignent, Peine, c’est parce qu’ils tremblent à l’idée de ce qu’on serait en mesure de déceler en eux. Ils ont surtout peur d’eux, avant tout. Nous ne sommes qu’un dérivatif.

… Tu aimes cela, réalisa-t-elle.

Ou plutĂ´t, elle se l’avouait ; pour la première fois, elle osait l’accuser.

J’ai appris, reconnut Chagrin, adouci. Mon monde s’arrête à toi et moi, je m’en satisfais. Alors si les étrangers à ce monde souhaitent voir un monstre en moi… Ainsi soit-il.

Dans ses mots, Peine entendit ce qu’il lui cacha : sa rancœur, contre elle. Parce que son propre monde aspirait à être plus qu’eux deux. Parce qu’il ne lui suffisait pas. Plus.

Je ne t’abandonne pas…, déclara-t-elle en refermant la couverture du journal. Jamais. J’emprunte juste une voie tierce. Tu resteras mon frère…

Mais nous comprendrons-nous toujours, si tu parviens Ă  localiser ton satanĂ© caillou ?

Un hoquet lui échappa devant cette angoisse révélée.

Bien sĂ»r ! Nous sommes jumeaux : rien ne surpassera ce lien.

Je suis quand même persuadé qu’il s’agit d’une erreur.

Je…

Ressembler Ă  tout un chacun te dĂ©naturera ! craqua Chagrin. Tu es parfaite telle que tu es.

Pas Ă  mes yeux.

Il doit y avoir une meilleure solution !

Peine soupira.

Chagrin, arrête…

Une seconde. Deux…

Non ! La malĂ©diction n’est pas sur nous !

Ses sourcils se froncèrent. Que lui racontait-il ? Elle en souffrait depuis qu’elle Ă©tait apparue !

Elle a été jetée sur notre famille. Pour que les parents soient punis, pour que leurs enfants sachent qu’ils mentent et ne sont pas des modèles… Il s’agit du fardeau de nos proches, pas du nôtre.

Ce n’est peut-être pas le tien, non. Tu as choisi d’y croire.

Je t’en prie, l’implora Chagrin. Renonce !

… Je pense avoir découvert où est la pierre de Silence.

La douleur de son frère la percuta tout entière.

Tu le regretteras, prophétisa-t-il.

Nous verrons.

Blessée – tant pour elle que pour lui – face à leur différend, Peine refusa de poursuivre le dialogue plus loin… Replongeant au cœur de son texte, elle en imprégna bientôt chaque recoin de son esprit et ferma le sujet.

Puis elle se retrancha au fond du sien.

***

La vue de Peine s’embua… Elle cilla afin de chasser les larmes naissantes.

Elle l’avait trouvé.

Enfin…

Le jardin abandonnĂ© censĂ© abriter la pierre de Silence ! Et qui aurait appartenu Ă  la femme-crĂ©ature dĂ©couverte dans les archives familiales, Ă  l’origine de la malĂ©diction de sa lignĂ©e !

Elle ne s’était pas trompée… Avait correctement interprété les métaphores présentes dans les carnets – ces phrases nébuleuses à l’origine d’un mal de crâne identique à celui de son passage obligé au cœur d’un village.

Émue, Peine resta un instant à l’entrée du lieu.

Renonce, la pria Chagrin d’un timbre malheureux.

Elle n’en fit rien. Au contraire, elle effectua un premier pas.

Tu as tort, et je vais te le prouver, mon frère. Je serai toujours moi – encore plus moi – lorsque je me serai libérée du fardeau que nous portons.

Elle perçut sa désapprobation au travers de leur lien mental, mais il eut le bon sens de se taire. Sa décision était sans faille.

FĂ©brile, tremblante – le bonheur et la normalitĂ© Ă©taient lĂ , tout proches, ils lui tendaient les bras ! –, Peine dĂ©ambula alors dans les allĂ©es oubliĂ©es, Ă  la recherche d’un Ă©lĂ©ment particulier…

Une fleur qui se fermait Ă  l’apparition du soleil et se dĂ©ployait Ă  son coucher, au rythme inversĂ© par rapport Ă  ses congĂ©nères. Les mĂ©moires des siens n’en disaient pas plus ; aucune prĂ©cision sur son type ou sa taille. Seulement qu’elle abritait la pierre…

Un dĂ©but de grimace dĂ©forma ses traits. MalgrĂ© leur abandon ou l’absence manifeste d’entretien – les lieux avaient-ils la rĂ©putation d’être hantĂ©s ? La lanceuse de sorts avait-elle eu une notoriĂ©tĂ© digne de les rendre inviolables Ă  travers le temps ? –, les nombreux parterres Ă©taient florissants. Presque un pied de nez adressĂ© Ă  ses projets ! Pas de quoi la dĂ©courager, toutefois. Il Ă©tait tĂ´t et elle avait de longues heures pour dĂ©nicher le prĂ©cieux vĂ©gĂ©tal. Le trĂ©sor en son cĹ“ur ne lui apparaĂ®trait de toute façon pas avant que ses corolles ne s’en dĂ©tachent…

Le pouls de Peine s’apaisa ; mĂŞme les brides des pensĂ©es des premières habitations, lĂ -bas au loin, ne brisait pas la sĂ©rĂ©nitĂ© en train de la gagner Ă  l’idĂ©e d’être libre.

La tristesse sourde et coléreuse de Chagrin n’y parvint pas davantage.

Tu verras, lui déclara-t-elle, tout ira pour le mieux.

… S’il te plaît d’y croire.

Ses doigts s’entremĂŞlaient entre eux ; Peine sentait l’excitation l’envahir Ă  mesure que le soleil achevait sa course vers l’horizon ! Si ses consĹ“urs se refermaient au fil des minutes, la fleur qu’elle avait cherchĂ©e des heures durant ne montrait pas de signes d’ouverture… Probablement parce qu’il fallait que l’astre d’or ait terminĂ© de disparaĂ®tre – du moins, elle espĂ©rait !

Ne reste pas lĂ .

La voix de Chagrin, une fois de plus.

Je rentre bientĂ´t, promit-elle.

Tu es parfaite ainsi ! Nous sommes très bien ainsi.

Accepte mon choix, comme j’accepte le tien à défaut de le comprendre.

… Jamais !

Les dents de Peine se serrèrent, au diapason de son cœur.

Alors j’évoluerai vite dans l’incertitude vis-à-vis du poids de ta rancœur. J’espère déceler un jour en toi des signes de pardon. Je… Chagrin, je dois le faire.

Non ! Et tu peux Ă©chouer, ne l’oublies pas : la pierre est peut-ĂŞtre un mythe ou son pouvoir inexistant, cracha son frère.

Sa langue claqua contre son palais et chassa sa tristesse envahissante.

Tu me le souhaites, n’est-ce pas ? Tais-toi et observe : nous allons dĂ©couvrir la vĂ©ritĂ©.

Contrairement Ă  ses attentes, Chagrin obtempĂ©ra ; seul le fond de son humeur trouble demeura dans un coin de sa tĂŞte – un jugement indirect, mais indĂ©niable.

Au bout d’interminables minutes, les pĂ©tales de la fameuse fleur s’écartèrent… Pile au moment oĂą le dernier rayon de soleil s’évanouit ! Sous l’éclairage blafard de la Lune enfin reine, Peine assista Ă  l’éclosion tant espĂ©rĂ©e. Seconde après seconde… Et lorsqu’un Ă©clat bleutĂ© lui apparut, une joie sincère l’anima tout entière.

Non, se désola Chagrin.

La pierre de Silence. Elle Ă©tait lĂ , au cĹ“ur du vĂ©gĂ©tal ! Elle se dĂ©voilait Ă  elle.

Ne te laisse pas tenter…¸ la supplia son jumeau.

Je suis navrée. Je refuse de continuer à vivre de la sorte.

FĂ©brile, tremblant presque, la main de Peine s’approcha du minerai et s’en saisit avec dĂ©licatesse, la cueillant. Elle l’amena ensuite devant son visage avant de la presser lĂ©gèrement, pour en Ă©prouver la matière – une part d’elle, incrĂ©dule, doutait encore. Une douce pulsation, un genre de chaleur s’en Ă©chappait… Elle la sentait sur sa paume ; son contact Ă©tait apaisant. Il ressemblait Ă  un appel.

Ă€ une promesse.

Plaçant sa confiance dans les pages de ses précieux journaux, Peine la porta à hauteur de son front.

Non ! hurla Chagrin.

En vain : la gemme entra en contact avec sa peau.

D’abord, elle ne perçut rien – rien sinon ladite pulsation – et elle pria pour qu’il y ait plus, beaucoup plus. Puis elle remarqua ne plus distinguer, là, tout au fond de son esprit, les brumes des rêves des résidents des chaumières les plus proches. Ces échos si discrets auxquels elle avait oublié de prêter attention.

Peine… Peine !

Le timbre de son frère, lui, avait déjà l’air moins… réel. Il s’amenuisait.

ArrĂŞte ! S’il te plaĂ®t…

Cela marche, Chagrin !

Retire cette monstruositĂ© !

Leur connexion diminuait rapidement ; un instant de panique, par chance passager, la gagna quand elle devina qu’elle Ă©tait sur le point de se briser.

À bientôt…

Non !

Chagrin se tut sur ce cri. Un frisson la parcourut, mais Peine s’échina Ă  l’ignorer – c’était ce qu’elle avait voulu, du moins de manière indirecte. Oh… Mieux valait penser Ă  la normalitĂ© qu’elle recouvrait, qui n’attendait plus qu’elle !

J’arrive, mon frère, songea-t-elle avec l’espoir que lui l’entende toujours. Tu ne m’as pas perdue, loin de là.

Ses lèvres s’étirèrent. Au cas oĂą son incroyable pouvoir s’annulerait, elle conserva la pierre sur son front de longues secondes encore, jusqu’à ce que son bras en tremble ! Elle se galvanisait de la sĂ©rĂ©nitĂ© qui l’envahissait. S’en enivrait…

Tout à son bonheur, il fallut qu’elle repose l’artéfact et s’éloigne du jardin pour constater qu’il ne s’agissait pas d’une simple ivresse. Qu’il y avait davantage.

Un potentiel problème…

Peine avait en effet l’impression de progresser Ă  l’aveugle ; chaque pas lui apparaissait plus Ă©trange que le prĂ©cĂ©dent. Si elle allait pourtant dans la bonne direction, son corps ne le comprenait pas, pas vraiment… Comme si une connexion ne se faisait pas.

Peu Ă  peu, l’anxiĂ©tĂ© l’enveloppa de son sombre manteau – une Ă©motion sur laquelle elle ne parvint nĂ©anmoins pas Ă  mettre un mot dessus ! Et pour cause : nul ne passait plus dans son esprit…

Celui-ci était vide.

Silencieux.

Alors, Peine réalisa.

Elle ne s’était pas seulement débarrassée de la voix des autres. Elle n’avait pas seulement renoncé à celle de Chagrin… Dans sa quête, elle avait aussi éliminé la sienne.

Bruyante depuis tant d’années, sa tête n’était plus qu’un affreux trou noir.


Texte publié par Rose P. Katell, 17 octobre 2025
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