AVERTISSEMENTS : Violences physiques, violences psychologiques, meurtres
Adélaïde appuya sur le bouton de la sonnette. Elle avait hâte de franchir la porte d’entrée de l’immeuble. La soirée était tombée, il faisait humide et le froid se faisait de plus en plus pressant. Elle dut attendre près d’une minute avant que l’interphone ne grésille enfin et qu’une voix toute jeune lui réponde.
- Oui ?
- C’est ADventure.
Un petit gloussement d’excitation mourut dans l’interphone et la porte se déverrouilla, lui permettant enfin d’échapper au vent glacé. Elle poussa le battant et passa rapidement le seuil. Adélaïde s’engouffra avec difficulté dans le petit ascenseur du vieil immeuble. Son gros sac à dos et elle-même rentraient à peine. L’appartement était au dernier étage. La montée n’était pas longue mais elle n’avait rien d’agréable. Elle était serrée comme une sardine contre la paroi plastifiée.
Ce fut un soulagement pour la jeune femme d’arriver enfin sur le palier. La porte était déjà ouverte et de jeunes visages la regardaient. Les trois adolescentes l’attendaient de pieds fermes. La première, la blondinette maîtresse des lieux, fit un pas hors de l’appartement pour l’accueillir.
- Salut ADventure, bienvenue chez moi, je suis Melissa et là tu as Agathe et Moonbeam.
Elle désigna respectivement la brunette souriant bêtement et la gothique maussade qui attendaient dans l’encadrement de la porte.
- Oui, je sais qui vous êtes, répondit Adélaïde en reprenant son sac sur le dos puis en entrant dans l’appartement, forçant les deux gamines restantes à s’écarter pour la laisser passer.
Elle avait en effet connu le trio en les suivants sur internet. Leurs vidéos comptabilisaient quelques milliers de vues sur YouTube et Tiktok. Adélaïde pensait que cet engouement était plutôt dû à leurs tenues moulantes et peu couvrantes qu’à leurs contenus réels. Mais enfin, elle avait besoin de ces gamines.
- C’est un honneur, lui fit Melissa en fermant la porte derrière elle. Fais comme chez toi. On a tout le temps qu’il nous faut, mes parents ne sont pas là de tout le week end, comme prévu. Tu veux quelque chose à boire ?
- Non, merci. J’aimerai qu’on ne tarde pas trop à commencer.
Elle posa son lourd sac sur le canapé, retira sa veste mais garda ses gants et observa les lieux. L’appartement était spacieux. Typique d’un logement de la grosse bourgeoisie citadine.
L’invitée prit les choses en main. Plus vite ce serait fait ...
- Je pense qu’on va s’installer là , fit Adélaïde en désignant le salon. L’acoustique m’a l’air suffisamment bonne. A la réflexion, j’aimerai bien un peu d’eau. Mais il faudrait une bouteille ou une carafe. On va parler longtemps.
Mélissa s’empressa de filer à la cuisine pour aller chercher ce que lui avait demandé son invitée. Pendant ce temps, Adélaïde sortit son PC, son casque, son micro et son support. Agathe et Moonbeam s’approchèrent doucement.
- Il paraît que ça fait longtemps que tu pratiques, fit la brunette souriante. Pourtant t’es vachement jeune. A peine plus âgée que nous.
- Ouais, ça fait un bout de temps, répondit laconiquement Adélaïde.
- C’est super cool que tu veuilles nous avoir dans ton podcast. On est ravies.
- Ouais, ravies de t’aider à augmenter tes auditeurs, fit Moonbeam d’un ton acide.
Adelaïde jeta un regard sur la gothique maussade en même temps qu’Agathe lui lançait un regard choqué et légèrement paniqué. Le troisième membre du trio semblait toujours la plus réservée sur les vidéos. Mais Adélaïde s’aperçut qu’en réalité elle n’avait pas la langue dans sa poche.
- Tu crois que je suis venue ici uniquement pour le nombre de vos followers ?
- Disons que ça m’a traversé l’esprit, oui, répondit Moonbeam.
- Et bien tu te plantes. Je suis là pour proposer du contenu intéressant à mes auditeurs et eux en parleront à d’autres qui s’abonneront si ça les intéresse. C’est comme ça que je fonctionne.
- Et pourtant on ne fait pas vraiment le même genre de trucs.
- On ne fait pas de la physique quantique et de l’art contemporain. De la sorcellerie, c’est toujours de la sorcellerie, quelle que soit la manière de s’y prendre. On a plus ou moins le même type de public.
- Plus ou moins. Toi beaucoup moins, apparemment.
- Et c’est surprenant, tenta d’intervenir Agathe mal à l’aise. On adore toutes les trois ton podcast.
La brunette tentait de repartir sur une ambiance plus positive. Adélaïde et Moonbeam s’observaient avec un air mêlant jugement et défi.
- Merci, finit par dire Adélaïde d’un air détaché en s’en retournant à son matériel. J’aime beaucoup vos vidéos aussi.
La gothique semblait avoir compris qu’elle n’était pas là juste pour faire un bon contenu. Mais ça importait peu. Les deux autres semblaient avoir la tête suffisamment vide pour accepter n’importe quoi pour attirer quelques followers de plus. Et donc de participer à son podcast. La troisième suivrait si elle tenait aussi à leur popularité.
Mélissa fit son retour avec non seulement de l’eau mais aussi du coca et du thé glacé sur un plateau ainsi que quatre verres. Adélaïde branchait son matériel tandis qu’Agathe semblait soulagée que la maîtresse des lieux les rejoigne. Elle l’aiderait sûrement à adoucir la situation.
- On peut commencer, lança Adélaïde. Vous vous mettez sur le canapé et …
- Attends, l’interrompit Melissa. Il faut qu’on aille se changer d’abord.
- Quoi ? Pourquoi ?
- Parce que nous on fait de la vidéo, fit Moonbeam avec un sourire moqueur.
- Oui, on va filmer l’entretien, reprit la blonde. Je t’avais prévenu qu’on enregistrerait.
Aïe ! En réalité, Adélaïde le savait mais lorsque Melissa lui en avait parlé, elle n’avait pas fait attention à ce que la gamine entendait par « enregistrer ». En bonne podcasteuse uniquement sonore, elle n’avait pas réalisé que ce serait en vidéo.
- Est-ce que ça t’embête ? demanda Agathe toujours inquiète.
- Non, mais dites-moi que ce ne sera pas en direct.
- Bien sûr que non, répondit la gothique. On fait toujours un montage.
- Moi aussi … c’est pour ça que je demande.
Adélaïde eut un soupir de soulagement tandis que les filles partaient dans la chambre de Melissa pour enfiler leurs tenues de scènes. L’animatrice de la rencontre ne savait pas ce que ça allait donner mais elle s’attendait à des tenues aux décolletés plongeants, courtes et moulantes. Histoire de changer. Elle, elle ne portait qu’un pantalon noir, un chemisier blanc et sa paire de gants noire. Ça lui suffisait.
Au bout de quelques minutes, les trois adolescentes revinrent et leurs vêtements n’avaient définitivement rien de surprenant. Croptops légers, jupette courte ou mini shorts, le tout dans des tons principalement noirs et mauves agrémentés de dessins pseudo-ésotériques. Agathe et Moonbeam allèrent s’asseoir sur le canapé tandis que Melissa installait son téléphone sur un support pour filmer l’ensemble. Adélaïde s’installa dans un fauteuil et attendit que la blonde rejoigne ses amis pour lancer l’enregistrement. Elle s’exclama d’un air enjoué :
- Bonjour à toutes et à tous chers amis du surnaturel. Ici ADventure, votre chroniqueuse des arcanes préférées. Bienvenue dans ce nouvel épisode. Aujourd’hui je suis super contente de me trouver avec le trio de la chaîne Youtube « Sorts et selleries », trois jeunes filles qui réalisent leurs propres vidéos concernant la sorcellerie ou concernant les activités de leur club de poneys, leurs deux passions. Beaucoup d’entre vous les connaissent sûrement déjà . Bonjour Melissa, Agathe et Moonbeam !
- Bonjour ADventure, répondirent les filles en chœur.
Après un bref échange dans lequel chacune des filles eut le loisir de dire à quel point elle était trop contente de participer à l'interview, Adélaïde attaqua le sujet principal.
- Bon, les filles, je n'ai rien contre les poneys mais vous me connaissez et mon domaine à moi c'est la sorcellerie. On fera donc l'impasse sur l'équitation et on parlera plutôt des arts magiques.
- Évidemment, acquiesça Agathe.
- On va peut-être juste dire que c'est au club qu'on s'est rencontrées toutes les trois, pour la petite histoire, fit Moonbeam.
- Si tu connaissais ma Canne-Ã -Sucre, tu changerais de passion, plaisanta Melissa.
- Peut-être mais dans le doute, on ne saura jamais. Quoi qu'il en soit les filles, vous réalisez des vidéos où vous faites la démonstration de divers actes magiques comme l'utilisation de pendule, des incantations, du traçage de runes et tout ce genre de choses. Ma première question c'est : est-ce que les gens qui voient ces vidéos ne vous considèrent pas comme bizarroïde ? Je pense notamment au lycée que vous fréquentez toutes les trois.
- Oh non, je crois que nous sommes bien acceptées comme on est, fit Mélissa.
- Il y a bien quelques imbéciles qui persistent à croire que les sorcières et la sorcellerie sont liées à des trucs sataniques mais ceux-là on les ignore, ajouta Moonbeam. Ils sont restés coincés dans les clichés sexistes des « mauvaises » sorcières qui sont complètement inventés.
- Moi j'ai des copines qui viennent me demander des trucs, genre de leur confectionner un charme ou une potion. Généralement pour des trucs amoureux, compléta Agathe.
- Je crois que la plupart s'en fiche un peu qu'on soit des sorcières et sinon les autres ont l'air de trouver ça plutôt cool, reprit Mélissa.
La discussion continua ainsi pendant plusieurs minutes. Les filles souriaient et montraient parfois des bijoux gravés de runes ou des pierres énergétiques, le tout en réussissant toujours à gonfler leurs poitrines ou à se pencher pour ouvrir légèrement leurs décolletés de manière naturelle. Adélaïde ignorait complètement comment elles réussissaient à faire ça pour des actes qui ne nécessitaient aucunement ce genre de gestes.
- Bien, les filles, au bout d'un moment, la théorie doit faire place à la pratique. Il est temps que vous nous fassiez une petite démonstration de vos talents. En plus chers auditeurs, comme le trio des « Sorts et sellerie » filme notre rencontre, vous aurez la possibilité de voir ce qu'elles vont faire plutôt que de simplement écouter ma description. Je vous mettrais le lien sur mon Insta. J'espère juste qu'elles me couperont au montage.
- Ne sois pas timide, fit Mélissa. Et puis toi aussi tu nous as promis de nous montrer une potion. Faut que les gens la voient.
- Qu'ils voient la potion, oui. Pas moi.
La blondinette n’insista pas. Les filles se lancèrent donc dans des incantations magiques diverses. Chacune d'elle fit une démonstration et l'expliqua au micro.
- Moi, je vais faire une incantation de chance et d'argent, déclara Mélissa. C'est très simple, il suffit de réciter la phrase « Volo felecitatem in vita habere » à voix basse. Plus on le répète mieux c’est, mais il faut avoir foi en ce qu’on dit et en garder la conviction jusqu’au bout.
La blonde se mit donc à réciter les mots latins, comme une litanie, d'un filet de voix à peine audible. Elle ferma les yeux pour mieux se concentrer. Elle se balançait légèrement d'avant en arrière comme si elle priait. L'incantation pouvant prendre du temps, Moonbeam enchaîna.
- Moi je vais écrire une incantation pour le savoir. Je ne peux pas vous montrer l'incantation que je vais écrire, c'est juste pour faire voir comment on s'y prend. On écrit l'incantation sur un bout de papier, ensuite il faut simplement le garder sur soi. C'est un peu comme un porte-bonheur.
La gothique s'exécuta et écrivit au stylo à bille sur un morceau de page de cahier arraché. Elle plia ensuite le papier en deux et le glissa dans son soutien-gorge.
- Moi je vais dire une incantation pour attirer l'amour. Par contre, ne me demandez pas de dire qui je voudrais attirer précisément. J'ai juste à dire l'incantation mais avant ça, pour faire comme l'exige le rituel, j'ai pris un bain dans lequel j'ai ajouté une tasse de lait et 21 pétales de rose. Bien sûr c'est un passage qu'on ne peut pas montrer en vidéo. Maintenant, je n'ai plus qu'à réciter : « Je demande à la déesse de l’amour et à la grande puissance de la nature, de faire en sorte que je puisse attirer l’amour que je désire. Qu’il en soit ainsi ! »
Mélissa arriva également à la fin de son incantation. Adélaïde reprit la parole.
- Très intéressant les filles, conclut-elle. On discutera plus tard de la façon dont vos divers sorts et potions fonctionnent, mais finissons d’abord avec l’aspect pratique de notre magie. Chose promise, chose due, je vais donc vous donner à mon tour la recette de l’une de mes potions.
L’animatrice prit une petite feuille sur laquelle elle avait inscrit tout ce qu’elle avait à dire.
- Nous allons préparer une mixture de protection énergétique. J’espère que vous avez de quoi noter. Vous êtes prêtes ? Commencez par faire chauffer de l’eau dans une casserole et jetez-y doucement deux feuilles de laurier, un brin de romarin et quelques clous de girofle. En mélangeant, prononcez à voix basse ou en pensée, la formule “Par cette eau, cette herbe et cette flamme, je me libère de toute négativité, je me protège et m’ancre dans la lumière“. Laissez mijoter à feu doux 5 à 10 minutes et, pour finir, filtrez la potion. Vous pouvez la boire, c’est le moyen d’action le plus puissant, mais assurez-vous d’abord de la qualité des herbes. Sinon vous pouvez l’utiliser en lotion sur le corps ou en lotion de lavage du sol de votre maison pour purifier l’environnement. Attention, ça purifie les énergies, ça ne nettoie pas les taches sur le carrelage.
Adélaïde eut un petit rire mais le trio qui lui faisait face n’esquissa pas même un sourire. Visiblement, ces trois pimbêches n’avaient jamais effectué la moindre tâche ménagère et son humour tombait à plat. L’animatrice de la soirée fouilla dans son sac et en sortit quatre fioles contenant un liquide légèrement ambré et translucide.
- J’espère que vous avez noté la recette les filles. Mais pour ce soir, je vous ai apporté la décoction préparée par mes soins. Vous pouvez y aller tranquilles, j’ai cueilli les herbes et les ai nettoyées moi-même.
Pour joindre le geste à la parole, Adélaïde prit sa fiole, la déboucha et la vida d’un trait. Les trois adolescentes l’imitèrent et vidèrent leurs potions à leur tour.
- Pas … pas mal, fit Mélissa en ne réussissant pas à retenir une grimace.
- Je … oui … euh, très bon, continua Agathe.
- L’essentiel c’est que ça fonctionne, lâcha Moonbeam.
Sans dire un mot de plus, Adelaïde se leva et s’approcha du téléphone de Mélissa. Elle arrêta l’enregistrement de la vidéo et éjecta la carte mémoire du portable.
- Mais qu’est-ce que tu fais ? Demanda Mélissa.
L’animatrice fourra la carte dans sa poche et détacha le téléphone du socle.
- Attends …
La blonde voulut se lever mais dès le premier mouvement qu’elle effectua la tête lui tourna violemment et son corps lui sembla soudainement très lourd. Elle s’affala brusquement sur les coussins du canapé et constata qu’à ses côtés, Agathe était en train de s’endormir. Ses propres yeux tentaient de se fermer malgré elle. Moonbeam luttait elle aussi pour rester éveillée.
- Qu’est-ce que …
Mélissa ne put finir sa question et sombra dans le sommeil. Adélaïde s’en retourna vers son sac et le posa sur la table basse avant de se mettre à fouiller dedans.
- Qu’est-ce que t’as fait ?
La voix de Moonbeam était faible. Elle luttait de toutes ses forces mais elle se sentait partir.
- Je ne pensais pas que ce serait si facile de vous faire boire le somnifère, fit Adélaïde d’une voix incolore en sortant des petites cordes du sac. Vous êtes vraiment prêtes à croire n’importe quoi pourvu que ça ait l’air de sorcellerie et que vous puissiez le filmer pour votre chaîne de demeurées.
- Pourquoi … ?
- Chut ! Laisse-toi aller, ça ne sert à rien de lutter. Ne t’inquiète pas, je ne vous laisserai pas dormir toute la nuit, j’ai d’autres projets pour vous.
Elle s’approcha de la gothique pour lui murmurer à l’oreille alors que ses paupières se fermaient :
- Quand tu te réveilleras, je te tuerais.
La dernière image de Moonbeam avant d’être emportée dans le sommeil fut le sourire sadique d’Adélaïde.
Le trio ne sut pas combien de temps il avait dormi mais les filles durent probablement se dire qu’il aurait mieux valu ne pas se réveiller. Elles étaient toutes trois allongées au sol, les poignets et les chevilles liées avec des boules de tissu dans la bouche maintenues par des bâillons. Une corde reliait les liens à leurs poignets et leurs chevilles pour les empêcher de trop bouger et de se relever.
Des traces rouges avaient été faites sur le carrelage et des bougies noires brûlaient un peu partout. Devant la table basse repoussée contre le mur, face à un gros livre ouvert, une forme noire était recroquevillée et ânonnait des incantations. Elle se releva doucement.
- Ah, vous êtes réveillées. Juste à temps. Je n’aurais pas pu mieux calculer la dose si je l’avais voulu.
Adélaïde avait revêtu une longue toge noire serrée et s’avança vers ses victimes. Les filles se trémoussèrent au sol en pleurant mais elles ne pouvaient pas bouger de plus de quelques centimètres. Leur bourreau eut un petit rire.
- On dirait un petit groupe d’asticots. Gigotez, gigotez mes mignonnes, vous passerez quand même à la casserole.
Tandis que les filles poussaient des cris étouffés derrière leurs bâillons, elle alla prendre quelque chose sur un meuble. Lorsqu’elle se retourna, les adolescentes purent voir qu’elle tenait une sorte de long couteau en main dont la lame était parcourue de symboles qu’elles ne connaissaient pas.
- Alors, par qui je vais commencer ?
Elle s’approcha à nouveau de ses victimes terrorisées. La première sur son passage était Moonbeam et elle l’observa avec le même sourire sadique que tout à l’heure.
- Non, pas toi. Pas tout de suite. Tu m’as vraiment fait chier toute la soirée et pour la peine, je vais te laisser voir ce que je vais faire à tes copines pour que tu te fasses une idée de ce qui t’attends.
Adélaïde allait pour se tourner vers l’une des autres filles lorsqu’une idée lui vint et elle éclata de rire.
- Non ! Mieux ! Tu vas choisir la première victime. Oh oui, ça va être trop drôle.
Elle s’agenouilla au-dessus de Moonbeam et la redressa pour lui poser le dos contre le canapé. Là , la jeune gothique put contempler la scène avec horreur. Les marques rouges au sol formaient l’étoile et le cercle d’un pentacle. Elle eut à peine le temps de comprendre ce qu’elle voyait qu’elle sentit la lame froide du poignard contre sa joue.
- Je ne te dirais pas de ne pas crier, lui fit Adélaïde avec un air de ravissement. Je me suis renseignée, cet appartement de bourge a une insonorisation à toute épreuve. Et puis surtout, j’aimerais bien t’entendre hurler. Surtout n’hésite pas à me supplier aussi.
Moonbeam laissa échapper un hurlement de terreur étouffé lorsque la lame se glissa sous le bâillon, lui entaillant la joue au passage et trancha le tissu comme un rien. Elle hoqueta pour faire sortir le chiffon roulé en boule qu’elle avait dans la bouche et qu’elle parvint à faire tomber au sol accompagné de plusieurs filets de bave. Elle eut une quinte de toux mélangée à des haut-le-cœurs et à des sanglots, reprenant son souffle avec difficultés. Adélaïde la regardait comme si elle n’avait jamais rien vu d’aussi exaltant.
- Allez, dis-moi. Laquelle des deux je tue en premier ?
La jeune gothique continuait de lutter pour respirer normalement et ses yeux larmoyants tombèrent sur ses amies aux regards terrorisés. Son cerveau embrumé par l’émotion ne parvenait pas à comprendre ce que leur bourreau attendait d’elle. Elle ne put que geindre faiblement.
- S’il te plaît … arrêtes … arrêtes …
- J’aime que tu me supplies. Mais bon, même toi tu aurais dû te rendre compte que je n’aurais pas fait tout ça pour m’arrêter maintenant. Allez, choisis.
- Ne me fais pas de mal … ne nous tue pas …
- C’est un problème parce que j’ai très envie de vous faire du mal et de vous tuer. Et puis c’est nécessaire pour le sacrifice.
- De … de quoi tu parles ?
- Du sacrifice, fit Adélaïde en lui montrant le pentacle. Je vais offrir vos corps et vos esprits aux démons pour toute une éternité de tortures plus délicieuses les unes que les autres. Avec de jolis petits lots comme vous trois, ils vont sûrement beaucoup s’amuser. Et ils me récompenseront grandement. Ils me donneront de vrais pouvoirs. Je vais devenir si puissante que je pourrais peut-être même passer voir comment ils vont s’occuper de vous. Juste pour le fun, entre copines.
La sorcière sacrificielle gloussa de rire. Elle se sentait déjà si puissante d’avoir les trois donzelles à sa merci qu’elle se permit de faire durer le plaisir.
- Allez, je ne suis pas si vilaine. Je vais au moins vous expliquer pourquoi vous allez mourir ce soir.
Adélaïde se releva. Elle alla prendre le livre épais sur la table basse et le montra aux filles.
- Voici l’exemplaire unique du livre des ténèbres noires. Il contient une forme de magie puissante et interdite qui a été bannie il y a bien longtemps. Plus personne sur cette planète ne la pratique depuis des siècles. Depuis que j’ai trouvé le grimoire, je suis la seule pratiquante. Et vous êtes le sacrifice idéal : jeunes, belles, vierges c’est important, et suffisamment idiotes pour être tombées dans le piège sans se poser de questions.
Elle reposa le livre avec soins puis s’en retourna vers Moonbeam.
- J’ai cherché longtemps des filles qui vous correspondaient. Avec votre intérêt pour votre pseudo-magie de pacotille vous étiez vraiment les cibles idéales. D’ailleurs, si jamais vous avez des herbes ou des cailloux pour vous sortir de là , je suis vraiment curieuse de voir ça.
Elle eut un rire franchement amusé puis se pencha à nouveau sur la jeune gothique et parla plus doucement, bien que suffisamment fort pour que les deux autres filles l’entendent.
- Allez, maintenant dis-moi laquelle je tue en premier.
Moonbeam refusa de regarder son bourreau en face, ni même ses amies, et détourna le regard du côté vide de la pièce en pleurant. Le sang qui suintait sur sa joue coupée, mélangé à ses larmes, commençait à lui couler sur les lèvres et quelques gouttes entraient dans sa bouche.
- Hé ! Au fait, s’exclama soudain Adélaïde. C’était quoi ton incantation secrète ? Celle que tu as écrite ? Montre-moi !
Sans vergogne, elle fourra sa main dans le corsage de sa victime et passa en force sous le soutien-gorge. Moonbeam tenta de se retirer mais son bourreau plaqua son autre main main sur sa gorge et elle sentit le bout de la lame sous son menton. Adélaïde dut fouiller un peu pour retrouver le bout de papier qui avait glissé sur le bord du sous-vêtement ce qui provoqua une vague de nausée dans la poitrine de la jeune gothique. Finalement l’incantation fut débusquée. La sorcière des ténèbres noires déplia le papier.
- Voyons ça … « Faites qu’elle m’aime ! » …
Adélaïde ouvrit de grands yeux surpris avant de partir dans un rire moqueur. Moonbeam pleurait à chaudes larmes, la tête baissée, humiliée comme jamais. Son bourreau finit par maîtriser son hilarité et continua de la harceler.
- Tu nous avais caché ça ? Venant de l’autre péronnelle je m’y serais attendue, fit-elle en désignant Agathe d’un coup de tête, mais de miss blasée et hautaine ? Tu parles d’une incantation de « savoir », petite menteuse. Finalement tu n’es qu’une midinette comme les autres. Quel dommage que la caméra soit éteinte. J’aurais voulu que tu dévoiles au monde entier qui …
Soudain elle comprit. Elle jeta un regard sur les deux autres filles avec un sourire de joie cruelle.
- Laquelle c’est ? Fit-elle en fondant sur Moonbeam. Laquelle des deux ? Oh ton message en dit assez long sur le fait qu’elles ne savent pas ce que tu ressens. Allez ! Dis-moi laquelle tu voulais baiser ! C’est le moment de lui dire, après ce sera trop tard.
Moonbeam savait qu’elle risquait de se faire tuer si elle ne disait rien et pourtant elle ne voulait rien dire.
Mais elle eut un réflexe malheureux et horrible.
Pendant une seule seconde une œillade involontaire se posa sur l’élue de son cœur. Ce fut suffisant à Adélaïde. Son regard extatique tomba sur Mélissa, tremblante comme une feuille, les yeux écarquillés d’horreur.
- Par tous les démons, c’est encore pire que ce que je pensais. Non mais t’y croyais vraiment ? La gothique maussade et la bimbo blonde ? T’as vu jouer ça où ? Heureusement que je vais te tuer parce que ta vie virerait encore plus au pathétique. Enfin, te tuer ... pas tout de suite.
Le bourreau repoussa Moonbeam au sol en se relevant. Elle s’approcha de Mélissa. La blonde se tortilla de plus belle avançant de quelques centimètres désespérés tout en essayant de crier à travers son bâillon. Agathe, tout aussi terrifiée, tentait de s’écarter d’Adélaïde. La blonde n’avait réussi qu’à se mettre sur le ventre avant que la sorcière ne soit sur elle.
- Non ! Fous lui la paix, hurla la gothique en tentant tout aussi désespérément d’avancer vers Mélissa. Fous lui la paix !
- Ne hurle pas, chacun son tour.
La sorcière des ténèbres noires attrapa la blonde par les cheveux et la retourna sur le dos pour se mettre assise à califourchon sur son ventre exposé, lui coupant le souffle.
- Félicitations blondinette. Tu es la première à partir, fais-moi un gros sourire.
Adélaïde planta son regard vénéneux dans celui terrorisé et proche de la folie de Mélissa. Elle attrapa la mâchoire de la blonde de sa main libre pour la forcer à garder ses yeux dans les siens et récita alors une nouvelle incantation incompréhensible de son livre. Mélissa tentait vainement de se débattre mais le couteau perça son flanc entre deux côtes. Le hurlement de douleur de l’adolescente s’entendit dans tout l’appartement malgré le bâillon.
La jeune gothique tentait de ramper tant bien que mal vers Melissa alors que le couteau se levait et se rabaissait violemment plusieurs fois. La blonde hurlait et se débattait. Une mare de sang se répandait sur le carrelage propret. La sorcière des ténèbres noires continuait de la frapper, encore et encore, la fixant dans les yeux en répétant son incantation d’une voix rieuse.
Rapidement, les cris de la victime se muèrent en gémissements de douleurs puis elle finit par ne plus faire le moindre bruit. Adélaïde se releva. Sa tunique était largement tâchée de sang. Elle avait l’air radieuse. Moonbeam s’effondra en pleurs. Elle faisait face aux yeux grands ouverts de Melissa, tournés dans sa direction mais qui ne la voyaient plus. Qui ne voyaient plus rien. Le petit haut déchiré en plusieurs endroits laissait voir le torse tailladé de toute part de la blonde. Un rouge sombre s’étalait de sa gorge à son ventre.
La tueuse observa sa victime et la fille effondrée en pleurs à ses côtés. Elle devait graver ce précieux moment dans sa mémoire. Elle avait curieusement conscience que, peut-être, elle ne ressentirait plus jamais autant de plaisir de toute sa vie. Au-delà des pouvoirs et de la puissance qu’elle allait gagner, la mort de la blonde adolescente avait été si satisfaisante, si jouissive. Jamais elle n’avait ressenti quelque chose d’aussi intense.
Il lui tardait de continuer. Et une fois que les deux autres seraient mortes, elle trouverait d’autres victimes. Le livre regorgeait de divers sacrifices. Pas question de s’arrêter. Certes, il lui faudrait chercher un peu pour trouver des innocentes aussi gratifiantes à exécuter que ces trois-là . Mais elle avait compris que ça en valait la peine. Tous les sacrifices d’animaux qu’elle avait effectués jusque-là étaient incomparables. Non seulement elle n’y avait rien gagné en magie avec ces entraînements, mais de fixer les yeux paniqués, terrorisés et fous de Mélissa alors que la vie la quittait … Elle regrettait presque que la blondinette soit morte pour ne pas pouvoir recommencer.
Mais pour l’instant, elle avait encore deux de ces gamines sous la main. Elle faillit se jeter sur la première venue pour la lacérer de coup et observer sa souffrance mais elle se ressaisit. Elle avait un rituel à mener à bout. Elle alla jeter un œil sur le livre des ténèbres noires et se remémora la prochaine incantation.
- Alors ? A qui le tour ?
La question était rhétorique. Adélaïde avait déjà annoncé qu’elle se gardait Moonbeam pour la fin. Elle se tourna donc lentement vers Agathe. La brunette tentait vainement de s’enfuir et avait profité de la mise à mort de Mélissa pour ramper le plus loin possible. Elle avait certes été plus loin qu’aucune des filles ne l’avait fait, elle était même sortie du cercle sacrificiel. Mais ça ne restait que quelques centimètres dérisoires.
- Oh, ça ce n’est pas gentil mon petit ange. Tu ne veux pas m’aider à devenir la plus grande sorcière du monde ? Petite ingrate.
En trois pas la tueuse fut sur elle. Elle attrapa l’adolescente par les cheveux et la tira violemment en arrière, la soulevant jusqu’à ce que la fille se retrouve à genoux. Elle jeta alors un œil sur la jeune gothique mais celle-ci ne bougeait plus, ou presque. Seuls ses sanglots secouaient encore son corps au sol.
- Et bien petit ange, j’ai l’impression que tu vas mourir seule sans que personne ne se préoccupe de toi. Visiblement ta prétendue pote gothique n’était dans votre petit club que pour le cul de la blondasse. Remarque, quand on vous compare l’une à l’autre, pourquoi serait-elle venue pour toi ?
La sorcière des ténèbres noires, dans le dos de sa nouvelle victime, posa la lame du couteau sous la gorge d’Agathe qui tenta un cri de supplication à travers son bâillon trempé de larmes.
- Hé ! Je vais tuer ton autre copine. Hého !
Moonbeam ne réagit pas. Adélaïde tira sur les cheveux de l’adolescente vers l’arrière pour la forcer à regarder vers le haut et à croiser son regard faussement empathique.
- Pauvre fillette. Ta mort sera aussi insignifiante que ta vie. Même pas foutue d’exciter une lesbienne gothique. Tu vois à quel point tu étais franchement pathétique ?
La tueuse se mit à réciter son incantation et Agathe lança des cris horrifiés pour tenter de la supplier d’arrêter tout en essayant d’échapper à la poigne de son bourreau. Mais c’était peine perdue. Obligée de regarder son assassin dans les yeux, la brunette sentit la lame glisser sur sa gorge et creuser un profond sillon ensanglanté qui finit par la priver de sa voix. Elle ne put même plus hurler sa douleur quand le couteau la perça en plusieurs endroit du dos et de son flanc.
Le corps d’Agathe s’écroula sans vie lorsque la sorcière des ténèbres noirs la relâcha enfin. Cette dernière était un peu déçue. Elle n’avait pas ressenti la même extase que lors de son premier meurtre. Peut-être parce que c’était le premier justement. Tuer la brunette avait été très satisfaisant mais rien de comparable à ce qu’elle avait ressenti en assassinant la blonde. Est-ce qu’elle parviendrait encore à ressentir autant de joie et d’énergie ?
Il lui restait une possibilité pour en savoir plus. Adélaïde s’approcha de Moonbeam. Celle-ci s’était recroquevillée au sol, perdue dans ses larmes et son désespoir, son corps tremblant. Mais elle n’avait pas essayé de s’enfuir.
- Toi, t’as compris que c’était la fin des fins, lui fit la sorcière des ténèbres noires. T’as bien raison de ne pas essayer de m’échapper mais comment je vais m’amuser, moi, si tu restes avachie comme une gamine effrayée ?
Elle lança un violent coup de pied dans le dos de la jeune gothique qui se cabra sous la douleur en lâchant un petit cri.
- T’es la dernière. Mais je vais prendre mon temps, sinon je ne vais pas trouver ça assez fun. Dis, j’ai une idée. J’ai envie de dessiner. Tu veux bien être ma toile ?
Elle retourna sa victime sur le dos et, à l’instar de ce qu’elle avait fait avec Mélissa, elle s’assit sur le ventre de la fille. Puis elle pointa la lame du poignard sur son visage défait.
- T’es tristounette ? Pourtant je vais t’envoyer rejoindre tes amies, c’est sympa, non ? Allez, laisse-moi faire. Je vais commencer par te dessiner de vraies larmes.
Adélaïde se pencha et de sa main libre, attrapa le menton de Moonbeam pour l’empêcher de bouger la tête. Elle enfonça la pointe de la lame juste en dessous de l’œil gauche de la jeune gothique. Juste un peu pour entailler la chaire. Tandis que sa victime poussait un gémissement de terreur mêlé de douleur, elle fit descendre le couteau pour ouvrir la joue sur toute sa longueur.
- C’est déjà très triste mais pas encore assez, vu ton état.
La sorcière des ténèbres noires entailla alors la joue droite de la même manière. Moonbeam tentait de bouger, plus par réflexe que par véritable envie de se battre. Elle savait qu’il n’y avait pas d’échappatoire.
- Voilà , là on te sent vraiment malheureuse, fit doucement Adélaïde en observant les deux trainées rouges. Tu n’aurais pas dû ouvrir ta grande bouche et manquer de respect à une vraie sorcière. Peut-être que tu serais quand même partie en dernière, il en fallait bien une, mais j’aurais été plus sympa avec toi. Enfin on peut rêver.
Et soudain, sans dire le moindre mot, elle appuya fortement sur les joues endolories de la jeune gothique pour la forcer à ouvrir la bouche dans laquelle elle planta le poignard d’un seul coup. Moonbeam écarquilla les yeux sous le choc alors qu’elle sentait le fond de sa gorge être transpercée et sa langue être entaillée par le fil de la lame. Une grande quantité de sang s’écoulait dans son gosier et l’empêchait de respirer.
La tueuse se pencha par-dessus le manche du couteau pour observer sa victime droit dans les yeux. Avec un sourire extatique aux lèvres, elle récita encore une fois l’une des incantations du livre alors que la jeune gothique hoquetait à la recherche d’air. Adélaïde dut peser de tout son poids pour que les violents soubresauts de sa victime ne la fassent tomber et qu’elle puisse ainsi rejeter le liquide qui l’étouffait. Mais elle savoura chaque convulsion, chaque saccade de sa victime. Ô qu’elle aimait ça.
La sorcière des ténèbres noires tint bon pendant les longues minutes qu’il fallut pour que l’adolescente se noie dans son propre sang. Cette fois, c’était fini. Elle avait tué chacune des donzelles selon le rite. Elle avait aimé les assassiner. Chacune avait été différente mais elle avait éprouvé du plaisir, du vrai plaisir, à chaque vie qu’elle avait retirée de ce monde. Si c’était ainsi qu’elle gagnerait en puissance, elle avait hâte de trouver ses prochaines proies.
Mais elle devait encore conclure le rituel. Une formalité. Bientôt elle aurait sa récompense. Adélaïde se releva en extirpant le poignard de la tête de sa dernière suppliciée. Elle devait consulter le livre pour ne rien oublier mais elle était déjà sûre d’une chose, c’est que les trois corps devaient se trouver dans le cercle du pentagramme.
Elle se tourna vers le cadavre d’Agathe pour la ramener près de ceux de ses amies.
Elle tomba au sol en arrière en hurlant de terreur.
Parce qu’Agathe était debout. Mais pas seulement debout. Elle fixait Adélaïde de ses yeux grands ouverts dont les paupières ne clignaient pas. Des yeux complètement noirs comme des trous dans la tête de l’adolescente, des trous aussi profonds que des abysses. Elle avait un grand sourire sadique au visage, comme celui de la sorcière des ténèbres noirs lorsqu’elle avait martyrisé chacune de ses victimes. Sa peau de fillette était devenue d’un gris sombre. Le sang qui était sorti de sa gorge et du reste de son corps était déjà séché, même en train de pourrir.
- Mais … qu’est-ce que … ?
Bien qu’effrayée, la tueuse eut assez d’esprit pour penser qu’elle avait fait une erreur dans le rituel. Ce n’était pas censé se passer comme ça. Les mortes ne devaient pas se relever. Elles devaient rejoindre les démons. Sans lâcher la créature des yeux, elle essaya de ramper sur le dos en direction de son grimoire. Tandis qu’elle reculait de quelques centimètres, la créature la regardait, toujours souriante, sans bouger.
Adélaïde heurta quelque chose avec sa nuque et poussa un cri. Mais elle se rendit compte qu’il s’agissait des corps de ses autres victimes. Merde ! Et si elles se réveillaient elles aussi ? Elle jeta rapidement un coup d’œil aux cadavres de Mélissa et Moonbeam. Elles la fixaient de leurs yeux grands ouverts, mais toujours morts. Définitivement morts, semblaient-ils. En espérant qu’il en serait toujours ainsi, la tueuse reporta immédiatement son attention sur Agathe. Elle n’avait toujours pas bougé. Toujours souriante.
La tueuse se força à continuer sa progression. Avec un tressaillement glacé qui traversa tout son corps, elle passa par-dessus les deux cadavres. Normalement, elle n’aurait pas rechigné à toucher les corps qu’elle avait elle-même privés de vie. Mais là elle ne pouvait s’empêcher de penser, d’imaginer qu’elles allaient lui attraper le poignet, lui immobiliser les chevilles ou la ceinturer à la taille à tout moment.
Cette pensée lui retournait l’estomac alors que ses mains s’appuyaient dans les chairs presque déjà froides de ses victimes et que leur sang imprégnait le dos de sa tunique. Ses membres tremblants peinaient à la soutenir. Elle ne lâchait pas des yeux le monstre qui lui faisait face. Son sourire malfaisant et ses yeux de ténèbres s’imprégnaient dans son esprit. Elle ne verrait probablement plus que ça jusqu’à la fin de ses jours. Si elle s’en sortait.
Ses mains et ses coudes rencontrèrent à nouveau le carrelage froid, rendu glissant et poisseux par le sang des deux corps qui se vidaient encore. Elle devait atteindre le grimoire. Elle y était presque. La sorcière ne se soucia même pas de savoir quelle serait la réaction de la créature une fois qu’elle l’aurait. Est-ce qu’elle la laisserait seulement le lire ?
- C’est ça que tu veux ?
La voix qui sortit du corps d’Agathe n’était pas celle d’Agathe. C’était une voix beaucoup plus profonde, plus gutturale, plus froide. Glaciale. La morte avança la main vers le livre des ténèbres noirs, presqu’à l’autre bout de la pièce, et celui-ci sauta vers elle pour atterrir entre ses doigts. Le bras tendu et frêle de l’adolescente ne semblait avoir aucun mal à soutenir le poids du lourd volume. Un rire rauque et satisfait s’extirpa de sa gorge en voyant une nouvelle vague d’horreur se dessiner sur le visage d’Adélaïde. Cette dernière dut forcer ses lèvres tremblantes pour articuler quelques mots.
- Qui … qu’est-ce que … tu es ?
- Je suis ton pire cauchemar, répondit la morte.
Elle avait appuyé le dernier mot avec satisfaction. Elle fit un pas raide en direction de la sorcière. Puis un autre. Et un autre.
- Tu m’as volé mes victimes, reprit-elle. Des semaines que j’attendais. Je les avais à ma merci ce soir. Tu me les as prises.
Adélaïde ne comprenait rien à ce qui arrivait. Ce n’était pas comme ça que ça devait se passer. Mais ce qu’elle voyait, c’était que le monstre avançait. En poussant un cri de terreur elle lança le couteau en direction de l’horreur qui s’approchait lentement. Mais ce fut le manche de l’arme qui toucha sa cible.
La sorcière se tortilla pour s’extirper des deux cadavres qu’elle avait piétiné. Elle se tourna sur le côté et tenta de se relever. Elle glissa sur le sang. En panique, elle s’efforça de pousser sur ses bras, ses jambes, son torse même pour se remettre debout.
A quatre pattes, elle parvint à sortir de la mare rouge sombre et, titubante, les pieds instables, elle parvint à se relever complètement. Elle se mit à courir. La créature bloquait l’accès à l’entrée de l’appartement. Elle devait trouver un refuge. Elle fonça en direction de la salle de bain. Dans la préparation de son entreprise morbide, elle avait repéré qu’il s’agissait de la seule porte avec un loquet. Derrière elle, la morte poussa un cri sinistre. En tournant la tête, elle vit le cadavre d’Agathe sauter par-dessus le canapé pour se mettre à courir à son tour. Ou plutôt à flotter dans les airs. Ses pieds gris dans ses socquettes imbibées de sang ne touchaient pas le sol.
La tueuse n’avait que quelques mètres à parcourir. Jamais elle n’aurait cru que cela lui semblerait si long. Le temps et les distances semblaient se distendre alors qu’elle sentait le monstre se rapprocher d’elle.
La porte de la salle de bain était entrouverte. Adélaïde se jeta littéralement dessus et s’effondra au sol. Ses chevilles dépassaient encore du seuil. La défunte Agathe allait les toucher. La sorcière ramena vivement ses jambes vers elle et les utilisa pour frapper la porte de ses pieds qui claqua au nez de la créature.
Sans réfléchir, comme animée d’une volonté inconnue, Adélaïde se jeta à nouveau sur la porte, cette fois pour l’empêcher de s’ouvrir. Le monstre tenta d’entrer mais la tueuse fit peser tout son poids sur le battant. Sa main tremblante tâtonna à la recherche du loquet alors que le cadavre tentait d’enfoncer l’obstacle. Et il y allait fort. Lorsque ses doigts parvinrent à trouver le bout de métal, Adélaïde dut s’y reprendre à deux fois pour réussir à faire tourner le loquet.
De l’autre côté, la créature devait avoir entendu le cliquetis de métal et cessa de frapper le battant de la porte. Pendant un instant, il y eut un silence. La sorcière ne bougeait pas. Elle craignait que la morte ne force l‘entrée dès qu’elle s’écarterait. Mais la créature avait une autre approche.
- Ce n’est pas un pauvre panneau de bois qui m’arrêtera, fit un murmure à travers la porte. Je vais venir te chercher.
Adélaïde n’y comprenait plus rien. Rien ne se passait comme prévu. Elle ne put plus retenir ses larmes.
- Mais qu’est-ce … qu’est-ce que tu … tu es ? Tu es un démon ? Mais … mais je les ai … tuées pour toi …
Le cadavre eut un rire sinistre. Sa voix restait faible mais résonnait tout autour de la tueuse, comme si elle était dans sa tête.
- Tu les as tuées pour toi. Pour toi seule petite égoïste.
- Non, c’était … pour vous les offrir …
- Elles étaient déjà à moi.
- Je … je l’ignorais. Je suis désolée … je voulais vous les offrir, je le jure … je voulais les sacrifier aux démons …
- Je ne suis pas un démon.
Adélaïde sursauta. Il lui avait semblé que la voix de la créature venait maintenant de l’intérieur de la pièce. Juste à côté d’elle. Elle tourna la tête et hurla. Quelque chose de plat et gris passait sous la porte. Une étrange forme oblongue s’étendait peu à peu. Au milieu se trouvaient les deux yeux abyssaux.
La tueuse poussa un autre hurlement en s’éloignant de la chose. Mais elle était prisonnière. Il n’y avait aucune autre issue à la salle de bain. Par instinct, elle refusait de s’approcher de la porte. Elle ne trouva un refuge dérisoire qu’en pénétrant dans la baignoire. Elle n’eut même pas l’idée de s’y recroqueviller pour tenter de se cacher. Elle savait que ce serait absurde et inutile.
Le dos collé au mur comme si elle cherchait à le pousser pour s’éloigner encore plus de l’entrée, elle vit la forme plate se redresser doucement en arc-de-cercle. Et la fixer de ses yeux vides. En souriant.
Adélaïde ne pouvait même plus crier. La vision de cette chose se faufilant aplatie sous la porte était si absurde, si terriblement absurde que son cerveau semblait ne plus fonctionner complètement. Devant ses yeux, la créature reprit forme et consistance, toujours en la fixant, sans jamais jeter un regard pour quoi que ce soit d’autre que sa proie.
Une fois sur ses deux pieds, la créature approcha à nouveau. La sorcière se défendit avec l’énergie du désespoir, jetant au monstre tout ce qu’il lui tombait sous la main en gémissant d’épouvante. Porte-savon, bouteille de shampoing, bocal de sels de bain, pot de crème hydratante, … tout frappait le corps meurtri qui était anciennement Agathe sans lui faire le moindre mal avant d’aller s’échouer ou se briser au sol. Elle se pencha sur la tueuse qui s’allongea au fond de la baignoire pour s’écarter le plus possible du monstre, quand bien même cela ne servait plus à rien.
Toute tentative de fuir fut vaine. Chaque fois qu’elle essayait de s’extirper d’un côté ou d’un autre, la créature la repoussait à sa place. Adélaïde retrouva soudainement sa voix pour hurler lorsque les doigts froids de la chose s’emmêlèrent dans ses cheveux pour lui attraper l’arrière du crâne. Le cadavre passa une jambe puis l’autre dans la baignoire et elle s’agenouilla sur le torse de sa victime, écrasant de ses jambes son ventre et sa poitrine, ses tibias s’enfonçant dans sa chaire et la tunique gorgée de sang. La sorcière avait du mal à respirer. Tout son torse était douloureux. Elle voulut se retourner pour faire tomber la morte mais elle était trop restreinte dans ses mouvements et n’y arriva pas.
- Maintenant, tu vas dormir toi aussi, lui fit doucement la créature.
- Non … pitié …, articula difficilement Adélaïde, je … Je vénère les démons …
- Je ne suis pas un démon. Je suis une Mara.
- Qu … quoi ?
- Je suis ton pire cauchemar. Un vrai cauchemar. Nous sommes les mauvais rêves.
- Je … comprends pas …
- Peu importe. Tu dois dormir.
- Non … non … je ne veux … pas
De sa main libre, la mara prit quelque chose dans la poche du minishort dont elle s’était vêtue pour jouer à être Agathe. Elle agita une fiole contenant un liquide légèrement ambré et translucide.
- Tu as été prévoyante d’avoir plusieurs doses de ton somnifère. Il a été très efficace.
La créature lâcha les cheveux de la jeune femme et déboucha la fiole. Adélaïde tourna la tête mais le monstre la força à nouveau à lui faire face sans difficulté en lui attrapant la mâchoire. Elle pressa sur les joues de sa victime pour l’obliger à ouvrir la bouche et engouffra le goulot de la fiole entre les lèvres de la sorcière impuissante. Elle lui pinça alors le nez pour la contraindre à avaler le liquide qui lui inondait la gorge avant de pouvoir respirer à nouveau.
Adélaïde faillit s’étouffer mais elle but le somnifère, ne pouvant faire autrement. La mara jeta la fiole et observa le visage de la sorcière en souriant.
- Qu’allez-vous … me faire ?
La sorcière sentait déjà ses paupières devenir lourdes.
- Je suis un cauchemar. J’aime tourmenter les gens qui dorment. Dors maintenant.
- Je ne … veux pas …
Mais la lutte était vaine. Adélaïde le savait bien puisque c’était elle qui avait drogué la potion et qu’elle n’avait pas lésiné sur les doses pour endormir rapidement ses victimes. Elle essaya néanmoins de lutter jusqu’au bout. Le sommeil la gagnait peu à peu comme si elle s’enfonçait dans des sables mouvants. Même l’intense terreur qu’elle éprouvait ne parvint pas à la maintenir éveillée alors que ses yeux s’éteignaient en fixant le sourire cruel et satisfait du cauchemar.
La sorcière l’ignorait car cela ne lui avait pas été utile lorsqu’elle avait confectionné ses similis potions mais le somnifère provoquait une inconscience sans rêve. Elle ne le comprit que lorsqu’elle se réveilla. Elle n’était plus dans la baignoire. Visiblement elle était revenue dans le salon. Elle avait toujours du mal à respirer et son torse état toujours oppressé.
La mara était toujours assise sur elle mais elle lui tournait le dos. Adélaïde tenta à nouveau de la renverser mais tous ses efforts furent stériles. Elle était comme paralysée. Au-delà du poids du corps de la créature sur le sien, elle ne pouvait même pas remuer un seul doigt.
Le monstre ne la regardait plus mais, alors que le sommeil la quittait définitivement, Adélaïde se rendit compte qu’elle parlait. Mais elle ne parlait pas toute seule. Une voix masculine lui répondait.
- D’ailleurs pourquoi tu ne les a pas sauvées ?
- Ne soit pas idiot Alcazar. Si elles m’avaient vu user de vrais pouvoirs ou si je leur avais révélé ma vraie forme, mes charmes n’auraient plus servi à rien. À partir du moment où celle-là a commencé à nous tuer, c’était de toute façon trop tard.
- Quitte à ce que tout soit gâché, tu aurais pu utiliser tes pouvoirs avant.
- J’ai attendu de voir si elle laisserait la deuxième en vie. J’aurais eu une chance de la récupérer pour moi. Je n’avais pas beaucoup d’espoir mais après le temps que j’y ai passé …
- Attends, je crois qu’elle est réveillée.
Sans se lever, la mara se tourna pour regarder sa victime en face. Elle souriait toujours mais elle ne ressemblait plus à Agathe. Elle avait un corps et un visage plus fin, toujours frêle presque émacié. Ses longs cheveux étaient d’un blanc crémeux et elle était vêtue d’une longue robe grise, comme la couleur des marbres des pierres tombales, qu’on avait du mal à distinguer de sa peau. Les seules choses qui n’avaient pas changé, c’étaient ses yeux noirs et insondables.
Apparaissant dans le champ de vision d’Adélaïde, elle fut rejointe par un homme qui semblait avoir la cinquantaine, les cheveux grisonnants et vêtu d’un chic costume noir. Au premier abord, il avait l’air tout à fait normal.
- J’espère que ça ne t’embête pas, j’ai contacté un ami à nous rejoindre pendant que tu dormais, reprit la Mara. J’ai besoin de son aide pour arranger la situation. Tu m’as contrariée, tu sais ?
- Et même sacrément énervée, fit le dénommé Alcazar. C’est la première fois que je te vois utiliser tes pouvoirs sur quelqu’un qui ne dort pas.
- J’ai approché ces gamines il y a des semaines, continua la créature. Je les ai ensorcelées pour qu’elles me croient leur amie depuis des années et pour me servir d’elles le moment venu … ce soir même. Et toi, tu arrives et tu les tues.
- Qu’est-ce … que vous êtes ?
La sorcière avait toujours du mal à parler. Elle respirait toujours avec de grands efforts et ses lèvres remuaient difficilement. La mara se pencha vers sa victime. Le visage tout près de celle-ci, la fixant de ses yeux noirs et profonds.
- Je te l’ai déjà dit. Je suis un cauchemar. Ce n’est pas une façon de parler. C’est ce que je suis.
- Elle est trop effrayée pour assimiler ce que tu dis, fit Alcazar avant de tourner la tête vers Adélaïde. Oui, c’est un cauchemar, un vrai. C’est comme ça qu’on les appelait avant. Si tu hurles de peur dans la nuit, c’est une mara. Si tu sens que tu ne peux plus respirer, c’est une mara. Si tu te blesses pendant ton sommeil, c’est une mara. Elles sont les cauchemars.
L’homme parlait comme si la victime était une imbécile. Visiblement il n’en avait rien à faire qu’Adélaïde comprenne réellement ce qu’était une mara mais il savait que la créature voulait qu’elle le sache.
La sorcière ne comprit en effet pas tout, par ignorance de ce dont on lui parlait. Elle savait juste qu’elle faisait face à des forces qui la dépassaient.
- Je … je vais bientôt … devenir puissante, fit difficilement Adélaïde.
Elle avait du mal à respirer avec le poids du cauchemar sur sa poitrine. Rien que pour ça, elle savait qu’elle n’était pas de taille à lutter contre la mara. Elle n’avait aucun espoir que sa menace ne soit prise au sérieux. Elle n’avait pas fini l’incantation du livre, alors elle ne risquait pas d’avoir de pouvoirs, puissants ou non. Mais que pouvait-elle faire d’autre que cette vaine menace ?
La mara eut un rire franchement amusé qui détonnait avec son air morbide et lui donnait un air encore plus sinistre.
- Oh oui, ton livre. Alcazar ! Regarde un peu ça !
Le grimoire se souleva de la table et vola dans les airs jusqu’à l’homme qui s’était assis nonchalamment dans le canapé. Il attrapa l’ouvrage et en feuilleta quelques pages rapidement.
- Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Faut être sacrément atteint pour écrire des trucs pareils, commenta-t-il.
Le cauchemar regardait la sorcière à sa merci avec un air ravi toujours aussi déplacé sur sa figure grise.
- Ton fameux grimoire est un ramassis de foutaises, fit la créature. Il a été écrit il y a longtemps, oui, mais par un détraqué qui croyait que des démons lui soufflaient de mauvaises pensées. Il passait son temps à coucher sur le papier les idées de tortures et de meurtres atroces qui lui passaient dans la tête. Il se masturbait tous les jours en espérant les infliger à des jeunes filles.
La mara posa la tête sur celle d’Adélaïde et elle la tourna sur le côté, forçant la jeune femme à tourner son visage dans la même direction. La peau glacée, rêche et dégoûtante de sa joue se pressait contre celle lisse et chaude de la tueuse. Leurs regards tombèrent sur les corps des deux adolescentes mortes que personne n’avait touché.
- Tu as accomplis son rêve. Mais tu n’auras pas plus de pouvoirs avec ces imbécilités que ces deux-là n’en auraient eu avec leurs récitations, leurs bouts de papier et leurs cailloux. Tout ça pour rien. Tu m’as juste privée du cadeau pour mon maître.
- Ton … maître ?
Avec le corps froid qui pesait sur elle, Adélaïde ne pensait qu’à essayer de trouver un moyen de s’enfuir. Elle ne comprenait pas tout mais elle retenait des choses qu’elle entendait sans les écouter. Elle avait compris qu’elle était ensorcelée et qu’elle ne bougerait pas. Elle avait compris que le livre était une supercherie et qu’elle se retrouvait dans ce supplice pour absolument rien. Elle n’aurait jamais de pouvoir.
Et pourtant, malgré elle, son esprit paralysé de terreur ne put s’empêcher de poser la question. Comment une créature comme celle-là pouvait avoir un maître ? Quel monstre terrifiant aux pouvoirs incommensurables pouvait la dominer ?
- Oui, mon maître, reprit la mara. Je suis un cauchemar. Mais lui c’est LE Cauchemar.
Alcazar, avachi dans le canapé, poussa un soupir d’agacement.
- Est-ce bien nécessaire de perdre notre temps à donner des explications ? À quoi cela lui servira-t-il quand elle sera morte ? Tue-la une bonne fois pour toute, qu’on en finisse.
- Non ! La tuer ? Non, non, non, non, non. C’est elle mon cadeau pour le maître désormais.
- Elle ? Pour quoi faire ? Déjà les deux autres ce n’était pas grand-chose. Ou alors …
L’homme observa la fille paralysée avec un étonnement mêlé de suspicion.
- Tu veux en faire … un agent ?
Le cauchemar acquiesça, frottant sa joue sur celle d’Adélaïde. Alcazar détailla un peu plus la prétendue sorcière comme s’il l’analysait.
- C’est pour ça que tu avais tant besoin de moi. Bon, elle n’est pas totalement sans intérêt, admit-il. Mais je ne dirais pas qu’elle brille dans un domaine particulier. Je sens sa peur mais dans sa situation c’est normal. Elle a peur de mourir.
- Elle a peur de vivre, le corrigea la mara. Pourquoi crois-tu qu’elle ait fait tout ça ? Elle craint de n’être rien. Rien d’autre qu’une insignifiante parcelle de poussière dans l’univers. Alors elle veut des pouvoirs. Elle veut être puissante. Elle veut compter dans une existence qui l’ignore. Elle est terrifiée de vivre sans importance.
Alcazar réfléchit à ce que venait de dire le cauchemar. Adélaïde assistait impuissante à la délibération des deux êtres qui la tenaient prisonnière.
- Oui, je vois, reprit l’homme. On peut utiliser ça, en effet. Mais pour en faire quoi ? Elle n’est pas motivée par un sentiment spécial. On ne peut pas en faire un agent de la colère ou de la tristesse. Tu penses à l’indifférence ?
La jeune femme ne comprenait rien à ce que l’homme disait. Pourquoi parlait-il de colère ? De tristesse ? Quel rapport avec tout ce qui s’était passé jusqu’à présent ? Quel rapport avec elle ?
- Non, mieux que ça, répondit la mara. Regarde ce qu’elle a fait à ces gamines. Tu n’étais pas là mais j’ai tout vu. J’ai vu son visage quand elle les frappait. J’ai vu son plaisir quand elle les tuait. Elle n’est pas un agent de la tristesse ou un agent de l’indifférence. Elle sera un agent du sadisme.
Alacazar eut un soubresaut de surprise et se redressa de sa position avachie. Adélaïde était toujours aussi perdue mais elle n’aimait pas ce qu’elle entendait.
- Un agent du sadisme ? C’est une première. Je ne savais même pas que ça existait.
- Des agents de la méchanceté pourrait en devenir, fit le cauchemar. Mais elle a déjà un potentiel supérieur à tous ceux que je connais.
- Je comprends mieux pourquoi tu jouais avec elle avant que j’arrive.
- J’ai poussé son sadisme encore plus loin. Je me suis imprégnée de lui et je le lui ai rendu au centuple. Elle est prête.
La mara se releva légèrement pour regarder sa victime dans les yeux. Elle fut satisfaite de voir cette dernière toujours aussi terrifiée.
- A partir de maintenant tu vas nous servir, nous et notre maître. Tu vas rejoindre le Cauchemar.
- Je … vous voulez … me transformer en … comme vous ?
La créature eut un nouveau rire sinistre.
- Certainement pas. Quand bien même ce serait possible que tu n’en serais pas digne. Non. Tu vas devenir une servante de notre maître. Je ne suis qu’un cauchemar qui s’amuse avec les humains. Lui, il est le Cauchemar de l’humanité.
La main de la mara glissa sur l’épaule et la gorge d’Adélaïde pour s’arrêter sur sa poitrine au niveau de son cœur.
- Je vais prendre ton Hugr. Ta capacité mentale à acquérir et utiliser tes connaissances. Tu oublieras tout ce que tu as appris. Tu seras aux ordres de Cauchemar. Tu ne seras plus guidée que par ton trait le plus puissant. Tu seras un concentré de sadisme que tu utiliseras uniquement au bon vouloir de notre maître.
- Non …
La jeune femme tenta à nouveau de se débattre, toujours en vain. Elle ne comprenait que la surface des choses. Elle allait devenir une esclave du Cauchemar, quoi que ça puisse être. Avec horreur, elle vit la main de la mara s’enfoncer dans sa poitrine comme elle s’enfoncerait dans de la mousse. D’ici quelques minutes, elle n’aurait plus conscience de qui elle était. Elle avait peur de n’être rien. Elle allait le devenir.
- Tu n’as pas à te plaindre, fit Alcazar d’un air détaché en se levant du canapé. En te concentrant uniquement sur ta caractéristique la plus puissante, tu auras quelques pouvoirs pour servir notre maître. Pas autant que tu le souhaitais et pas autant que les magiciens comme moi, mais tu en auras. Bien sûr tu n’auras pas le libre arbitre pour t’en servir autrement que comme nous le voulons mais … bon, on ne peut pas tout avoir, n’est-ce pas ?
L’homme leva un bras et des serpents de lumières s’enroulèrent autour des poignets et des chevilles de la jeune femme. D’autres s’enroulèrent autour de ses cuisses, de son torse et de son cou.
- Le sort de contrainte est en place. Tu peux y aller.
- Une fois le Hugr retiré, ce sort sera définitif et tu seras à nous, fit la mara.
Des larmes coulaient sur les joues d’Adélaïde alors qu’elle comprenait qu’elle allait être privée de sa conscience d’elle-même. Qu’allait-elle devenir ? Elle se sentait partir. Peu à peu le monde autour d’elle semblait changer comme si elle le regardait avec de nouveaux yeux. Comme si elle l’appréhendait différemment.
Elle ne s’en soucia bientôt plus.
Plus tard, dans la cage d’escalier. Madame Dupont montait les marches vers le second étage et son appartement, après être allée chercher sa fille chez une amie à elle dans le quartier. Elle refusait de prendre l’ascenseur pour si peu d’étages, ça faisait de l’exercice.
Elles étaient presque arrivées au palier lorsque trois personnes descendirent et les croisèrent. La première était une adolescente dont madame Dupont ignorait le nom mais qu’elle avait vu récemment en compagnie de la petite Mélissa Carto qui habitait au dernier étage. C’était une jeune fille polie de ce qu’elle en savait. D’ailleurs l’adolescente souriante les salua gentiment elle et sa fillette sans s’arrêter.
Madame Dupont posa ensuite les yeux sur la deuxième silhouette. Par instinct, elle attrapa sa fille et la serra contre elle pour la protéger.
Elle ne fit même pas attention à l’homme qui fermait la marche et qui les dépassa sans rien dire.
Madame Dupont ne comprit pas pourquoi elle avait réagi comme ça. La deuxième fille, visiblement un peu plus âgée que Mélissa et son amie, lui avait juste sourit. Mais ce sourire. Ce sourire, il lui semblait qu’il dégageait quelque chose de malsain. Elle n’aurait pas su dire quoi. Mais ce sourire était désormais gravé dans sa mémoire.
Ce sourire allait devenir son pire cauchemar.

| LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
|
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3344 histoires publiées 1463 membres inscrits Notre membre le plus récent est Dracaena |