Un tourbillon d’eau et de sable l’empêchait de voir où il allait. Il cogna plusieurs fois le plancher et les fumeurs qu’il croisait dans sa course folle. La vision obscurcie par la douleur, il tentait désespérément d’empoigner le membre qui l’entrainait. Se forçant à se concentrer, malgré les élancements qui irradiaient jusque dans son épaule, il saisit son poignard, accroché à sa ceinture, et l’enfonça dans la chair qui l’agrippait. Un meuglement le percuta de plein fouet et le tentacule le lâcha. Il heurta la base d’une colonne hydrothermale, qui, heureusement, l’empêcha de se perdre plus avant dans le dédale.

Perclus de douleurs, la vision trouble, il lutta pour conserver le contrôle. Tu dois fuir. Tu dois partir d’ici. Mais la souffrance dans son bras, dans son crâne et partout sur son corps, mêlée à la terreur, le tétanisait. Il sentit un mouvement près de lui, une légère ondulation dans l’eau. Il se redressa péniblement et s’adossa à la paroi rocheuse, sa main gauche agrippée à une excroissance. Sur son casque, des messages d’alerte clignotaient.

Il eut soudain terriblement conscience des tonnes d’eau au-dessus et autour de lui et du mur de ténèbres qui l’entourait de toute part. Il se décala, espérant atteindre l’un des couloirs. La douleur enflammait son bras droit. Une vague de nausée le fit vaciller, mais il tint bon.

— Ava, tu m’entends ? tenta-t-il.

Un grésillement lui répondit, signe que son communicateur fonctionnait. Il vérifia les indicateurs de sa visière : aucun danger venu de son environnement à signaler. En ce qui concernait son état général, toutefois, c’était une autre histoire.

Un raclement détourna son attention de ses blessures. À quelques mètres, un tentacule sortit d’un corridor entre deux fumeurs, suivi d’un deuxième. Ils se cramponnèrent à l’une des cheminées. Une tête pourvue de deux yeux globuleux et d’une gueule sertie de crocs acérés apparut dans la lumière de ses projecteurs. Aussitôt, un film recouvrit les globes oculaires fragiles. L’animal le regardait avec méfiance, sans doute échaudé par sa blessure.

— C’est toi qui as détruit le drone ? tenta-t-il. Je ne te veux aucun mal, tu sais.

Aldric faillit éclater de rire à la stupidité de cette phrase. Il essayait de raisonner une créature abyssale, qui ne le comprenait surement pas. L’obscurité était en train d’envahir sa vision ; un poids oppressait sa poitrine et les élancements de douleur dans son crâne l’empêchaient de penser. Si tu perds connaissance ici, tu meurs.

L’animal avança. Deux pattes griffues déchirèrent la roche parsemée de coquillages et d’algues. Il sortit entièrement des ténèbres. Des nageoires ornaient ses flancs et une queue battait tranquillement l’eau derrière lui ; deux tentacules émergeaient de ses épaules, au-dessus de ses deux puissants membres antérieurs ; son corps était recouvert d’écailles noires et vertes. C’était un étrange mélange entre un quadrupède et un poisson, comme s’il était resté figé à un stade intermédiaire de son évolution.

La créature fit un bond en avant. Une volute de fragments de roches, d’algues et de coquillages flotta derrière lui. Ses griffes enfoncées dans le sol, elle se tenait à quelques mètres de sa proie, son appendice caudal vacillant sous l’afflux d’un léger courant. Le commandant recula encore.