Quand le tourbillon cessa, Nathaniel se fracassa le genou contre un sol dur, gris, sans revĂȘtement. Son affliction irradia le long du nerf sciatique, le feu dans son dos sâintensifia jusquâĂ la limite du supportable. Il se cambra, le visage tordu dâune grimace de souffrance. Ses vertĂšbres craquĂšrent. Des claquements sinistres. Il se pencha, main Ă terre, mais une ligne de feu lui coupa la colonne vertĂ©brale. Il hurla. Expulser la douleur soulageait. La sueur ruissela sur ses joues, se mĂȘla aux larmes. Il tremblait tandis quâau loin, lâhomme Ă©trange sâexclamait :
â Je tâavais bien dit que tâen avais plus pour trĂšs longtemps !
Nathaniel releva les yeux, la buĂ©e sur ses lunettes floutait lâintriguant, assis en lotus Ă mĂȘme le sol. Il cria plus fort, ferma les paupiĂšres. Sa peau. Sa peau se dĂ©chirait, lĂ , dans son dos. On la dĂ©coupait de lâintĂ©rieur. La dĂ©chirure se fit si profonde que sa voix se perdit dans le silence. Des points noirs sâinvitĂšrent devant ses yeux. Il allait s'Ă©vanouir. Il allait mourir, lĂ , dans ce lieu inconnu, avec son ravisseur.
â Oh ! Dâailleurs, reprit ce dernier dont le calme olympien contrastait nettement avec les pensĂ©es macabres de Nathaniel, ce serait pas mal que tu retires tes fringues. Tu vas les saloper, sinon.
Nathaniel essaya de se dĂ©battre quand les doigts aux ongles crochus de son kidnappeur attrapĂšrent sa chemise. Il nâavait plus de force, ni dans les bras, ni dans les jambes. Lâhomme nâeut aucun mal Ă le dominer malgrĂ© son allure frĂȘle. Il sâattela Ă dĂ©boutonner Nathaniel, mais suspendit son geste. Le jeune homme sâarqua de nouveau.
Ses yeux se rĂ©vulsĂšrent. Des excroissances. Le sang jaillit de son dos, tourbillonna, Ă©claboussa les murs. Nathaniel tomba au sol sans plus la moindre Ă©nergie. Il haleta et, dans sa torpeur, parvint Ă jeter un Ćil par-dessus son Ă©paule rougeoyante. Il nâen crut pas ses yeux : une paire de longues ailes pourpres s'Ă©tendait de toute leur longueur, ravie de leur libertĂ© nouvelle. Elles respiraient. Elles se mouvaient avec dĂ©licatesse, avec allĂ©gresse. Les plumes Ă©taient serties de poussiĂšre brillante, Ă la fois hypnotique et inquiĂ©tante.
Ă bout de souffle, il jeta un regard chargĂ© dâincomprĂ©hension Ă lâhomme devant lui, mais obtint pour toute rĂ©ponse son horrible sourire trop large, Ă la maniĂšre dâun triangle inversĂ©. Le bras de Nathaniel cĂ©da sous son poids pourtant chĂ©tif, le bĂ©ton froid contre son torse et sa joue le soulagea. Ses muscles tremblaient, pris de spasmes frĂ©nĂ©tiques. Dans sa fragilitĂ© et les tĂ©nĂšbres, il entrevit la lumiĂšre : ses jambes, quoique lourdes, ne souffraient plus du nerf sciatique. Ses lombaires non plus. Sa peau pulsait, meurtrie, tandis que le sang commençait Ă coaguler. Seul le muscle piriforme brĂ»lait sous le coup de lâinflammation.
â Elles sont magnifiques, dĂ©clara lâhomme aux pupilles scintillantes dâadmiration.
Il fallut un instant aux oreilles sifflantes de Nathaniel pour apprĂ©hender cette simple parole et un moment de plus pour comprendre de quoi lâindividu parlait. Ces⊠ailes, rouges, se tenaient lĂ , dans son dos, Ă se mouvoir avec douceur telles des vagues sous la brise.
â Par contre, ta chemise est ruinĂ©e.
Nathaniel ne sâen Ă©tait pas rendu compte. Si son kidnappeur avait su la dĂ©boutonner malgrĂ© les gestes vĂ©hĂ©ments de lâagressĂ©, il nâavait pas eu le temps de lâĂŽter. Ses os supplĂ©mentaires nâavaient pas arrachĂ©s que son Ă©piderme.
â Z⊠ZâĂȘtes qui ? demanda Nathaniel dâune voix pĂąteuse.
Les questions affluaient dans son cerveau, mais refusaient de passer ses lĂšvres, trop occupĂ© Ă lutter pour garder les yeux ouverts. Son ravisseur arqua un sourcil et repoussa la capuche de son sweat, dĂ©voilant de longues oreilles pointues ainsi quâune tĂąche de naissance qui lui prenait tout l'Ćil gauche.
â Moi, câest Ash. Jâimagine que ton pĂšre tâa parlĂ© de moiâŠ
Son pĂšre ?! Les nerfs de Nathaniel vrillĂšrent sous un sursaut dâadrĂ©naline. Il cracha, en colĂšre, comme Ă chaque fois quâon mentionnait ce lĂącheur en sa prĂ©sence :
â De quoi, mon pĂšre ? Jâai pas de pĂšre !
Ash se mit Ă rire de bon cĆur :
â Ah, si, si, mon petit NĂ©philim, tu en as un ! Tâes pas arrivĂ© sur Tiamat comme par magie. Câest lui qui mâenvoie.
Son quoi ?! Tia⊠quoi ? La tension de Nathaniel reprit une mesure normale, si bien quâil put se redresser sur les genoux sans manquer de tomber. Il se sentait faible et fatiguĂ©, mais les ailes de chaque cĂŽtĂ© de son dos ravivaient sa frayeur et le maintenaient alerte.
â Jâcomprends rien de câque vous mâdites ! DâoĂč vous connaissez mon pĂšre ?
Il ne lĂącha pas lâĂȘtre Ă©trange devant lui, mais discerna avec prĂ©cision les boĂźtes de rangement dans son dos. Une cave. Ils se trouvaient dans une cave et la lumiĂšre chiche au plafond sâharmonisait au gris bĂ©ton du lieu. Sordide. Un endroit oĂč un serial killer aurait pu commettre ses mĂ©faits sans jamais ĂȘtre inquiĂ©tĂ©. Comment avaient-ils fait pour arriver lĂ ? Nathaniel dĂ©glutit avec difficultĂ©.
â Ăa me paraĂźt Ă©vident, dĂ©clara Ash en pointant sa tĂąche de naissance du doigt. On sâest connu dans les Cieux, avant ma dĂ©chĂ©ance.
Nathaniel chercha du regard des signes dâalcoolisation chez Ash. Ou dâune prise de stupĂ©fiants. Peut-ĂȘtre une maladie mentale ? Il Ă©tait en pleine dĂ©rĂ©alisationâŠ
â Il est venu me trouver dans les Enfers pour me parler de son fils.
Ash se releva, il marcha avec nonchalance jusquâĂ une grande caisse en bois sur laquelle il sâassit.
â Me demande pas quand, continua-t-il, jâai jamais rien compris aux histoires de Temps chez les Humains. Il mâa parlĂ© de toi, donc, et du fait que tâaurais besoin dâun coup de main pour pas dĂ©clencher la fin du monde.
Nathaniel sentit le sang couler dans son dos, il croisa les bras, soudain conscient de sa nudité et du froid ambiant.
â De quoi, la fin du monde ? Et tâes quoi, au juste, si tâes pas un Humain ? Tu te rends compte de ce que tu mâdis ?
Nathaniel avait dĂ©cidĂ© que, dans la mouise oĂč il se trouvait, plus la peine de faire preuve de civilitĂ©. Le tutoiement suffisait.
â Tâes sĂ©rieux ? Je viens de te dire que jâĂ©tais dĂ©chu des Cieux et que je flĂąnais dans les Enfers. Tâes beau gosse, mais niveau intelligence, on repassera, hein ! Et pour la fin du monde, tu tâimagines bien quâun NĂ©philim, ça fait tĂąche dans le dĂ©cor. Ton pĂšre a dĂ» te prĂ©venir. Ou ta mĂšre.
Les sourcils froncĂ©s, Nathaniel se redressa. Il se maintint contre un tuyau pour garder lâĂ©quilibre, une fois debout. DerriĂšre lui, ses ailes nâen faisaient quâĂ leur tĂȘte. Elles se mouvaient en tous sens, sans aucune discipline, chatouillant les murs et sâĂ©tirant de tout leur long.
â Câest quoi, ça, un NĂ©philim ? Je connais pas mon pĂšre. Il a abandonnĂ© ma mĂšre avant que je naisse. Elle sait rien non plus de tout ça.
Ash demeura muet, le temps dâassimiler l'Ă©tendue des propos de son nouveau compagnon. Il croisa les bras avant dâestimer :
â Oh ! Ouais, jâimagine que câest logique. Sâil voulait te protĂ©ger, il ne pouvait pas ĂȘtre vu avec toi. Ni ta maman chĂ©rie. Ăa va ĂȘtre long, cette histoireâŠ
DĂ©sabusĂ©, Ash prit une position semi-allongĂ©e avant dâexpliquer :
â Ton pĂšre est un Ange. Quand un Ange et une Humaine, ou lâinverse, copulent, bah ça donne un NĂ©philim. Toi. FĂ©licitations.
Les ailes de Nathaniel frĂ©tillĂšrent, tout Ă fait dâaccord avec ce dĂ©but dâexposĂ©. Le jeune homme frĂ©mit : les statuettes et posters dâAnges dans la chambre de sa mĂšre⊠Ses terreurs nocturnes oĂč quelquâun emmenait son fils loin dâelle, dans un endroit oĂč elle ne pouvait pas les suivre⊠Elle savait ?
â Et donc, poursuivit Ash, un NĂ©philim, câest un peu⊠une abomination de la nature. Tâes pas censĂ© exister. Les Anges et les Humains sont pas censĂ©s procrĂ©er entre espĂšces. Câest une rĂšgle des Dieux. Comme tu dĂ©vies de lâordre Ă©tabli, si on te voit, tu vas te faire juger chez les Divins. Et lĂ , la sentence sera sĂ©vĂšre. Les Dieux ont tolĂ©rĂ© la situation une fois, câĂ©tait un carnage⊠Alors, cette fois, ils vont rien laisser passer. Câest la fin du monde qui nous attend. On va sâĂ©viter ça, hein, mon petit NĂ©philim ?
Nathaniel recula de quelques pas. La porte nâĂ©tait plus si loin :
â Pourquoi mon pĂšre vient pas me protĂ©ger lui-mĂȘme ?
Ash haussa les épaules :
â Il est sur le radar des Archanges. Il peut pas bouger un orteil sans que ça se sache. Les grands manitous sont dâailleurs bien plus alertes depuis quâil est venu me voir, soi-disant pour rendre visite Ă un vieux copain.
Encore deux pas en arriĂšre. Nathaniel sentit le courant dâair passer sous la porte.
â Et pourquoi il est allĂ© chercher un dĂ©mon ? Dans les Enfers, comme tu dis.
Nathaniel ne croyait toujours pas les dires dâAsh, mais il le maintint dans son dĂ©lire le temps de fuir Ă toutes jambes. BientĂŽt. Encore quelques pas. Des plumes rouges sâinvitĂšrent dans son champ de vision. CâĂ©tait pas possible. Les Anges, les DĂ©mons⊠ça nâexistait pas. Nathaniel nâavait jamais adhĂ©rĂ© Ă ces idĂ©es farfelues dâĂȘtres supĂ©rieurs, de dieux tout-puissants ou encore dâune possible vie aprĂšs la mort. Sa mĂšre, elle, y vouait un vĂ©ritable culte. Mais pas lui. Jamais. Ces⊠ailes devaient avoir une autre explication. Bien plus logique. Quant Ă Ash, un malade, un psychopathe qui lâavait amenĂ© dans une cave pour mieux lâassassiner. Nathaniel nâavait aucun mal Ă lâimaginer sâentailler les oreilles pour les rendre plus pointues.
â Bah ! Tu te doutes bien que si lâaffaire sâĂ©bruitait lĂ -haut, commença-t-il en pointant le plafond du doigt, alors Gabby aurait sonnĂ© dans son cor avant mĂȘme que tâaies eu le temps de pousser ton premier cri, mon petit oiseau.
Le dos de Nathaniel, encore bien enflammĂ©, se cogna contre la porte. Il retint sa respiration, câĂ©tait une question de secondesâŠ
â Jâai fermĂ© Ă clĂ©. Si tu sors, tu vas subir un chĂątiment pire que la mort. Et moi aussi par la mĂȘme occasion. Et ton pĂšre, probablement.
Nathaniel se retourna vivement. Fallait le tenter quand mĂȘme. La main sur la poignĂ©e, il tira, poussa de toutes ses forces. Elle ne bougea pas dâun pouce. Il laissa son front se reposer sur le mĂ©tal froid, donna encore deux pressions sur la clenche, au cas oĂč, puis se rendit Ă lâĂ©vidence : verrouillĂ©e.
â Et donc, demanda Nathaniel dâune voix tremblante en se tournant vers Ash, tâes lĂ pour me protĂ©ger⊠parce quâun certain âGabbyâ veut me tuer, câest ça ?
â Ah, non, non ! rĂ©pondit le dĂ©mon en esquissant un sourire trop large pour ĂȘtre naturel. Jâai dit : âpire que la mortâ. On ne peut plus te tuer, ça y est !
Il ouvrit grand les bras avant de sâexclamer dans un rire sonore :
â Bienvenue chez les Immortels, mon petit oiseau !

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