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Le premier Gardien

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Le premier Gardien

© Rose P. Katell (tous droits réservés)

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes de l’article L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La pĂ©nombre tombait sur la ville ; Gareth devait se dĂ©pĂŞcher. Son maĂ®tre n’accepterait aucun retard, pas ce soir. Il pressa le pas et arriva devant l’imposante grille du cimetière. Sa main entoura l’un des barreaux. Il se figea, puis observa l’intĂ©rieur des lieux.

Comme à chaque Halloween, ils semblaient bien plus effrayants qu’en temps normal. Néanmoins, le jeune homme s’interdit de frissonner. Laisser sa peur prendre le dessus constituerait une insulte à sa formation. Qui plus est, il s’agissait de la première année où Alan Pike l’autorisait à rester à ses côtés durant la nuit du 31 octobre. Gareth ne voulait pas gâcher une telle opportunité. Il désirait prouver qu’il était à la hauteur de la mission qui l’attendait.

Il inspira, poussa la grille, puis avança. Une bourrasque glacée lui fouetta le visage. Transi, il remonta la tirette de son blouson et se réjouit en remarquant la lumière qui s’échappait de la chapelle. Son initiateur était déjà là et avec un peu de chance, tout se déroulerait à l’intérieur.

La porte du monument s’ouvrit sur un vieillard barbu et maigre.

— Tu es en retard, mon garçon.

— Le soleil n’est pas couché.

Au froncement de sourcils qu’il obtint en réponse, Gareth comprit qu’il aurait été plus sage de se taire.

— Nul retard n’est le bienvenu la nuit de la Toussaint, je te l’ai assez répété. Entre maintenant, et essaie de ne rien renverser.

L’adolescent obtempéra. Le sol était jonché de nombreux petits sacs en toile fermés par une corde nouée. Il devina qu’Alan Pike s’était levé aux aurores pour commencer la décoction qu’ils contenaient et peina à imaginer que ces tâches lui incomberaient un jour.

— Cesse de rêvasser, viens plutôt m’aider à remplir les dernières bourses, le somma son aîné. Le mélange se trouve au fond à droite.

HabituĂ© au ton sec et abrupt de l’homme, il ne s’en soucia pas et obĂ©it. Alors qu’il versait la prĂ©paration avec soin, ses pensĂ©es se dispersèrent. Gareth songea Ă  leur Ă©trange rencontre et sourit. Elle lui avait paru si surrĂ©aliste qu’il se la rappelait avec une nettetĂ© impressionnante ! Comment oublier la surprise qu’il avait Ă©prouvĂ©e lorsqu’un inconnu l’avait accostĂ© Ă  la sortie des cours dans l’unique but de lui dire qu’il Ă©tait un Gardien et que son rĂ´le Ă©tait de surveiller le Voile qui sĂ©parait leur monde de l’au-delĂ  !

Il se souvenait encore de sa crainte, des doutes qu’ils avaient entretenus sur la santĂ© mentale de son interlocuteur. Gareth s’en Ă©tait Ă©loignĂ© et lui avait recommandĂ© de ne pas boire autant. Son insolence le faisait dĂ©sormais rougir ! Par bonheur, Alan Pike ne s’en Ă©tait pas offusquĂ©. Il s’était contentĂ© de lui indiquer le moyen de le contacter si son don se manifestait.

Oh ! Qu’il avait ri quand il Ă©tait parti ! Beaucoup plus que la matinĂ©e oĂą il avait aperçu son premier fantĂ´me…

Les lèvres de Gareth se rehaussèrent derechef. Son quotidien Ă©tait si diffĂ©rent depuis l’évĂ©nement. Les vendredis soirs, il rejoignait son mentor et se destinait Ă  accomplir son devoir. Apprendre qu’il existait un « après » Ă  la mort et que sa mission consistait Ă  protĂ©ger les vivants et Ă  s’assurer que les esprits reposent vraiment en paix avait changĂ© sa vie du tout au tout. Pourtant, il ne le regrettait pas ; il sentait que ses actions avaient de l’importance, se jugeait utile. Une part de lui savait qu’il Ă©tait nĂ© afin d’être Gardien. Preuve s’il s’en fallait, lui qui avait toujours eu un mal fou Ă  retenir ses leçons avait assimilĂ© l’histoire des siens avec une facilitĂ© dĂ©concertante !

La fiertĂ© envahit un court instant le cĹ“ur du jeune homme. Autrefois ignorant, il Ă©tait dorĂ©navant capable de donner la date oĂą le Voile avait Ă©tĂ© scellĂ©, empĂŞchant les trĂ©passĂ©s de revenir sur Terre et simplifiant leur existence. Les Chasseurs s’étaient muĂ©s en Gardiens ; de nomades, ils Ă©taient devenus sĂ©dentaires afin de s’établir dans les cimetières et de veiller Ă  ce qu’aucune entitĂ© ne contourne le « verrou » placĂ© sur le Voile.

Gareth revoyait Alan Pike insister sur l’importance d’éliminer fissa un spectre qui y était parvenu. Il lui avait enseigné que plus il demeurait parmi eux, plus l’identité de l’opportun s’effaçait : il se transformait en poltergeist. Gareth avait déjà été confronté à l’un d’entre eux. Il était en mesure d’affirmer qu’ils étaient difficiles à maîtriser.

Il frissonna.

— Alors, mon garçon, bougonna le vieillard, et ces bourses ?

Gareth balaya ses réflexions et déclara :

— Elles sont prêtes.

— Parfait ! Suis-moi, nous avons peu de temps.

— Peu de temps pour quoi ? demanda-t-il tandis qu’ils se mettaient en marche.

Alan Pike le dévisagea avec hébétude, puis se reprit.

— J’oubliais, maugréa-t-il, il s’agit de ta première Halloween en tant que Gardien.

Gareth hocha la tĂŞte.

— VĂ©rifions si je t’ai bien formĂ© ! Que se passe-t-il la nuit du 31 octobre ?

— Le sort jeté sur le Voile se rompt jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Il n’est plus scellé.

— Exact. Ravi de constater qu’il t’arrive de m’écouter. Il n’y a donc plus la moindre protection. C’est pourquoi, grâce au puissant enchantement que j’ai préparé, nous allons « cadenasser » chaque tombe. Partout dans le monde, nos confrères s’y emploient dans le quartier où ils opèrent. Crois-moi, il ne se passe rien de bon quand les défunts se mêlent aux mortels.

— La réalité des Chasseurs n’avait pas l’air simple, approuva Gareth

— Tu tires les conclusions qu’il faut, le félicita le plus âgé. Trêve de bavardages, mettons-nous au boulot.

Il acquiesça.

— Tu repéreras un trou devant toutes les sépultures. Glisses-y une bourse et n’en néglige pas.

— MĂŞme celles des anciens Gardiens ?

— Surtout celles des anciens Gardiens ! Nombre d’entre eux adoreraient revenir, persuadĂ©s que leur tâche n’est pas finie et qu’ils sont aptes Ă  contrĂ´ler les esprits. Gardien ou pas, un fantĂ´me est un fantĂ´me, mon garçon.

— Oui, maître.

— Va !

Gareth partit en direction de l’arrière du cimetière, fier qu’Alan Pike le juge à la hauteur. Il dénicha les cavités creusées et n’osa imaginer les heures que ça avait demandé. Concentré, il les remplit, vérifiant qu’il n’en omettait pas et revenant souvent sur ses pas pour se munir de nouveaux sacs. L’exercice s’avéra long et fatigant, mais il ne se découragea pas, conscient de sa nécessité. Il ne pouvait pas commettre d’impairs, pas une telle nuit.

Il gagna le dernier caveau du terrain qu’il devait couvrir et le contempla. Il Ă©tait si grand, si majestueux ! Il appartenait au fondateur de la ville. Respectueux, Gareth s’inclina. L’illustre personnage n’avait pas seulement Ă©tĂ© le maire des lieux, il s’en Ă©tait aussi rĂ©vĂ©lĂ© le premier Gardien. Le jeune homme se demandait comment il avait rĂ©ussi Ă  tenir son rĂ´le sans avoir eu un initiateur Ă  ses cĂ´tĂ©s. Sans le sien, Gareth n’ignorait pas qu’il aurait tĂ´t ou tard acceptĂ© l’idĂ©e d’être fou. Contempler l’invisible ne signifiait pas le comprendre.

Alan Pike l’interpella soudain :

— As-tu fini, mon garçon ?

Gareth se morigéna, cessa de rêvasser et plaça le contenant qu’il tenait dans le trou à ses pieds. Il se releva et s’empressa de rentrer à la chapelle, où il faisait plus chaud. Pressé et ravi d’avoir terminé, il ne remarqua pas qu’il avait foulé et renversé la sacoche destinée au premier Gardien. Désormais inefficace, son contenu se répandait sur le sol terreux.

L’adolescent pénétra dans le monument saint. D’un geste du menton, il confirma à son mentor que nul spectre ne les dérangerait, puis s’assit à sa droite.

— Bien jouĂ©, mon garçon !

— Merci.

— Je ne suis pas toujours tendre avec toi, mais laisse-moi te dire une chose : tu seras un bon Gardien.

Gareth sentit sa gorge se serrer et répliqua :

— J’espère que je ne vous décevrai pas.

Sa voix assurée ne trompa pas Alan Pike.

— De quoi as-tu peur, Gareth ?

Il hésita, puis avoua :

— D’échouer. J’ai parfois l’impression que je ne suis pas digne de notre travail. Si vous ne m’aviez rien enseigné, je... un seul faux pas et…

Contre toutes attentes, le vieillard sourit.

— Il n’est pas de pire Gardien qu’un homme trop sûr de lui. L’erreur est humaine, mon garçon. N’aie pas honte de tes craintes. Elles te pousseront à être plus consciencieux. Tu es un excellent apprenti.

Rassuré, Gareth s’autorisa à se détendre.

— Que va-t-il se passer maintenant ?

— Maintenant ? rĂ©pĂ©ta Alan Pike.

— Jusqu’à l’aube. De quelle façon sommes-nous censĂ©s nous comporter ?

— Comme des Gardiens.

Il rit de la plaisanterie et attendit d’en savoir plus.

— Il nous suffit de rester éveillés et l’œil en alerte. Il y a du vin chaud si tu as froid.

Gareth opina sans bouger de sa place.

— Est-il possible qu’un dĂ©funt traverse le Voile malgrĂ© nos prĂ©cautions ?

L’éventualité l’inquiétait. Halloween avait tendance à les rendre plus puissants.

— Ce ne sont pas tant les esprits qu’il faut surveiller, mon garçon. Chaque annĂ©e, des petits malins s’aventurent au-delĂ  de la grille en quĂŞte de frissons. Et chaque annĂ©e, il y en a un d’assez stupide pour toucher Ă  mes sacs !

Gareth n’avait pas pensé à ce cas de figure, mais il était plus que probable.

Il s’interdit de confesser qu’il avait Ă©tĂ© l’un des petits malins lorsqu’il Ă©tait plus jeune. Une question le titillait. Serait-il venu se divertir ici s’il n’était au courant de rien ? Aurait-il cherchĂ© Ă  impressionner une fille de sa classe ? Sans en ĂŞtre sĂ»r, il devinait la rĂ©ponse positive. Son quotidien de naguère Ă©tait si monotone qu’il avait Ă  plusieurs reprises fait des bĂŞtises qu’il regrettait aujourd’hui. S’il n’avait pas dĂ©couvert son don, il aurait sans doute continuĂ© Ă  agir de la sorte.

Un hurlement prolongĂ© le tira soudain de ses rĂ©flexions ; il sursauta. Alan Pike se redressa d’un bond et se prĂ©cipita Ă  la fenĂŞtre.

— C’était quoi ? l’interrogea Gareth en se relevant Ă  son tour.

— Des ennuis.

Le ton employé lui donna des sueurs froides.

— Les tombes ! Aide-moi Ă  vĂ©rifier les tombes !

Gareth ne discuta pas. Il s’engouffra à l’extérieur, puis entreprit d’inspecter les sépultures une à une. Toutes avaient encore leur bourse en face d’elles.

Le hurlement résonna derechef. Gareth pivota en direction de l’arrière du cimetière. La panique lui comprima la poitrine. Il s’agissait de la partie dont il avait eu la charge…

— Vite ! le pressa Alan Pike.

Malgré l’urgence, Gareth admira sa vivacité. Il peinait à demeure à sa hauteur.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.

— Un mort se rĂ©veille. Un abruti a dĂ» renverser la prĂ©paration. Il faut la repĂ©rer et arranger le problème avant que le « visiteur » ait traversĂ©. Il sera trop tard sinon !

ÉpouvantĂ©, Gareth accĂ©lĂ©ra l’allure. Était-il lĂ , l’impair qu’il avait tant apprĂ©hendĂ© de commettre ? Tandis que l’aĂ®nĂ© scrutait la terre, il eut un horrible pressentiment ; un pressentiment qui le poussa Ă  filer jusqu’au fond du cimetière, devant le caveau du premier Gardien.

Il hoqueta : le sac qu’il y avait dĂ©posĂ© n’y Ă©tait plus ! Il regarda Ă  gauche, puis Ă  droite. HĂ©las, il avait disparu. OĂą Ă©tait-il ? Il n’avait pourtant croisĂ© personne !

— MaĂ®tre ! hurla-t-il. MaĂ®tre, par…

Un violent coup sur la tempe lui fut assené. Gareth chuta au sol. Peut-être à cause de l’urgence de la situation, il ne ressentit pas la douleur. Il sauta sur ses pieds et observa les environs, attentif au moindre bruit.

— Qui est lĂ  ?

— Gareth…, souffla une voix rauque.

Son estomac se souleva, mais il se força Ă  conserver sa bravoure. OĂą Ă©tait Alan Pike ? Avait-il entendu son appel ? Ses jambes s’entrechoquaient. Il se maudit. Bon sang, il avait dĂ©jĂ  affrontĂ© des fantĂ´mes !

— Un faible comme toi ne peut pas être un gardien.

Gareth serra les poings et inspira afin de chasser sa peur. Il adopta un ton ferme et répliqua :

— Qui ĂŞtes-vous pour en juger ?

— Insolent !

L’esprit le percuta dans les jambes et il se retrouva à nouveau par terre. Cette fois, il perçut la douleur de l’impact.

— Sans moi, tu ne serais pas lĂ  ! Sans moi, ton univers ne serait pas aussi sĂ»r.

Il pesta. Il avait bel et bien affaire au premier Gardien des lieux ! Gareth dĂ©glutit et se releva. Ses yeux fouillèrent ensuite les alentours Ă  la recherche d’un indice. Il Ă©tait impĂ©ratif qu’il localise son interlocuteur !

— Cependant, je te remercie, enchaîna celui-ci. C’est grâce à toi que je me suis échappé. Tu n’es pas inutile.

Le peu d’assurance que l’adolescent s’était composée s’envola.

— Je ne saisis pas…

Avec un plaisir évident, le fondateur de la ville lui relata sa maladresse. Gareth serra les poings sur ses cuisses et lutta contre les larmes qui le menaçaient. Alan Pike se trompait. Il n’avait jamais été digne de son statut.

Un rire chatouilla ses oreilles.

— Je suis convaincu que tu l’as toujours su. Tu n’as pas l’étoffe d’un Gardien.

— Taisez-vous !

— Tu entretiens l’illusion que tu en es capable, une illusion qu’un vieux fou cultive avec soin. Mais au fond de toi, tu connais la vérité.

Gareth tremblait. Tout son corps bataillait afin d’éloigner la tonalitĂ© sifflante. Les mots de son adversaire rĂ©sonnaient dans sa tĂŞte !

— Lâchez… moi, implora-t-il.

— Sceller le Voile fut une telle erreur.

— Vous dĂ©lirez !

La panique l’encerclait. Les intentions du spectre l’angoissaient. Dire qu’il Ă©tait apparu Ă  cause de lui !

— Pourquoi le monde n’appartiendrait-il qu’aux vivants ? Les Gardiens de jadis sont en mesure de contrĂ´ler les dĂ©funts, ils les cĂ´toient depuis suffisamment de siècles.

Folie ! Ces propos n’étaient que folie ! Une douleur sourde vrilla le crâne de Gareth, qui vacilla. Il hurla, puis se laissa tomber Ă  genoux. Il n’avait plus qu’un seul souhait : que sa souffrance cesse.

— Ce monde n’est pas le vôtre, objecta-t-il malgré tout.

— Silence ! Tu vas m’aider.

Un Ă©tau se referma sur le jeune homme, qui cria de plus belle. Trop tard, il comprit que le trĂ©passĂ© tentait de le possĂ©der, de prendre son corps humain afin de bĂ©nĂ©ficier de son Ă©nergie. S’il y parvenait, il s’emploierait Ă  dĂ©truire le « verrou » placĂ© sur le Voile. Il Ă©tait impĂ©ratif qu’il l’en empĂŞche ! Une gaffe suffisait, il n’en commettrait pas une autre. Il se battit, se rĂ©pĂ©tant qu’il Ă©tait un Gardien afin de se donner du courage.

— Tu n’es rien, persifla son assaillant.

Les mots Ă©taient plus tranchants qu’une Ă©pĂ©e. La volontĂ© de Gareth pliait. Ses membres le brĂ»laient, il avait l’impression qu’il allait imploser. Le revenant le torturerait jusqu’à ce qu’il cède ! L’emprise qu’il exerçait sur lui augmentait de seconde en seconde.

Alors qu’il se sentait partir, de plus en plus affaibli, une voix puissante résonna à sa gauche :

— Ne le touchez pas !

Un soupir de soulagement lui échappa. Son maître était là, il avait tenu assez longtemps pour lui donner l’occasion de le rejoindre. À cette pensée, Gareth recouvra un semblant d’espoir, une étincelle de résistance dont il se gorgea.

— Va-t’en, murmura-t-il tandis qu’Alan Pike entamait un exorcisme.

Le fantôme se démena afin de conserver son avantage. Il écorchait son mental, s’accrochait à lui comme une anguille. Gareth souffrait, mais s’interdit d’abandonner. Il se concentra sur la main que son mentor avait appuyée contre son dos.

Sa vue se brouilla. Les paroles en latin impactaient l’entitĂ©, qui jouait ses dernières cartes. Gareth jura que son enveloppe charnelle se consumait ! Il pria pour en finir, douta d’être apte Ă  continuer la joute plus d’une minute.

Les propos d’Alan Pike devinrent plus forts et saccadés. Il guerroyait autant que lui.

Une larme roula sur sa joue. Le premier Gardien rugit de colère et de désespoir. Gareth hurla.

Les ténèbres l’enveloppèrent, il les accueillit avec reconnaissance.

Un tissu frais frĂ´la son front. Il essaya d’ouvrir les paupières et Ă©choua ; la douleur demeurait prĂ©sente. Les derniers Ă©vĂ©nements lui revinrent en mĂ©moire. Gareth Ă©touffa et voulut se relever, mais une paume atterrit sur son torse et l’en empĂŞcha, l’obligeant Ă  rester Ă©tendu.

— Du calme, mon garçon.

Il reconnut son aĂ®nĂ© et s’apaisa. Il n’était plus en danger. Puis les interrogations l’assaillirent. Avaient-ils rĂ©ussi ? La nuit d’Halloween Ă©tait-elle finie ?

— L’esprit ! Est-il… ?

— Chaque chose en son temps, le rabroua Alan Pike.

Gareth n’était pas d’humeur à attendre. Il insista :

— Que s’est-il passĂ© ?

— Ton impatience te perdra !

— S’il vous plaît…

— Ça va, ça va. L’exorcisme a fonctionné. Notre regretté maire est retourné dans l’au-delà.

Soulagé, Gareth soupira. Sa bévue n’avait pas eu de conséquences graves.

— DĂ©solĂ© d’être arrivĂ© si tard, poursuivit son initiateur. L’ordure avait pris soin de m’assommer avant de s’occuper de toi ! Ces maudits fantĂ´mes ! Par moments, on les tuerait.

Plus l’homme parlait, plus la honte gagnait le lycéen.

— C’est ma faute, avoua-t-il de but en blanc.

— Ta faute ?

— J’ai renversé votre décoction… et je ne l’ai pas réalisé. Vous aviez tort. Je serai un Gardien pitoyable.

— Balivernes !

Surpris par le ton choquĂ©, l’apprenti sursauta. Il ne s’attendait pas Ă  une telle rĂ©action. OĂą Ă©taient les remontrances qu’il guettait ?

— Nous faisons tous des erreurs. L’important est de les reconnaître. Contrairement à moi, tu es toujours en formation. Je t’ai vu te battre contre notre trépassé et crois-moi, peu auraient eu ton courage et ta volonté. Tu es déjà un bon Gardien, mon garçon.

L’émotion empêcha Gareth de répondre.

— Dors maintenant. Je me charge de la surveillance.

Il hoqueta :

— Est-ce… que tout va bien ?

— Pour l’instant, oui. Pourquoi ?

— Simple curiosité, mentit-il.

Alan Pike ne l’avait jamais autorisĂ© Ă  se reposer après une mission ! Certes, il Ă©tait mal en point, mais il ne comptait plus le nombre de fois oĂą le vieillard lui avait assurĂ© qu’il avait besoin de s’endurcir.

— J’oubliais : tu rangeras la chapelle à ton réveil.

Il sourit. VoilĂ  qui Ă©tait plus habituel !


Texte publié par Rose P. Katell, 28 janvier 2016
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